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dans de meilleures conditions qu’eux à cet égard ; ils approuvèrent fort ma résolution et me guidèrent de leurs conseils.

Dès que je vis que, tout en présentant des dangers très sérieux, la chose était possible, je me fixai, mais sans en parler, une date ferme, le 23 décembre, l’avant-veille de Noël. J’avais calculé sur mon indicateur universel qu’il me faudrait quarante-huit heures pour atteindre la frontière suisse, par où je voulais sortir d’Allemagne ; et j’espérais que le passage de la frontière serait facilité par le relâchement dans la surveillance, résultant des fêtes et de la veillée de Noël. Et puis, — pourquoi ne pas l’avouer ? — j’espérais que Noël, la grande fête alsacienne, me porterait bonheur.

Quant à la partie la plus périlleuse de l’opération, la sortie de la prison, elle devait être basée sur les tendances à l’ivrognerie et sur certaine négligence du geôlier. Mes camarades avaient remarqué que, lorsqu’il avait bu, — et cela lui arrivait souvent, — il négligeait, en montant le soir pour sa dernière inspection, de fermer à clef la double porte de la prison, conformément à sa consigne. Il se contentait alors de pousser les deux battans de cette porte. On pouvait profiter de cette circonstance pour sortir dans l’impasse, pendant les courts instans que le geôlier passait dans la prison, et chercher ensuite à gagner la fortification, en échappant aux vues du factionnaire et du poste.

Une fois sur le rempart, il faudrait gagner, sans être vu, un autre point de la fortification, d’où l’on pourrait rejoindre l’intérieur de la ville et ensuite la gare. Un jour, pendant la promenade sur le rempart, je dépassai le dessus de la porte, de Breslau qui nous servait de limite ; le geôlier et le factionnaire me hélèrent aussitôt, mais j’en avais vu assez pour savoir que de l’autre côté de la porte on n’était plus vu par le poste et que la fortification y aboutissait à un bastion non gardé, dans l’intérieur duquel on pourrait descendre par un talus très haut, très raide, mais pas infranchissable.

Le 23 décembre fut pour moi une journée d’anxiété et d’énervement.

Dès le matin, il règne dans la prison et aux alentours une agitation insolite : on balaye, on frotte, on nettoie de tous côtés. On vient changer les draps de nos lits ; on nous donne certains vases de nuit qui, jusqu’alors, nous avaient fait défaut. Les