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prouvait l’élévation de leurs sentimens. Ils passaient leur temps, les uns à rêver des plans invraisemblables de soulèvement des camps de prisonniers français qui étaient nombreux dans l’Est de l’Allemagne et qui auraient pu faire une diversion sur les derrières de l’ennemi. D’autres se préoccupaient de fuites, d’échanges de prisonniers. L’un d’eux comptait pour son évasion sur l’amour qu’il ne tarderait pas à inspirer à une jeune ouvrière qui habitait avec son père dans une cahute de gardien, de l’autre côté du fossé de la fortification, et qu’il pouvait voir de notre rempart. Tous les jours, pendant la promenade, il s’obstinait à se geler les pieds dans la neige, malgré des 15 ou 20 degrés de froid, en contemplant celle qui devait être sa libératrice. Je ne sache pas que cette Silésienne se soit laissé attendrir.

Souvent, pendant que nous nous promenions, nous entendions, en dehors de la ville, des salves de mousqueterie. Le geôlier m’apprit que c’étaient des soldats français, qui venaient de mourir au camp des prisonniers, et à qui les troupes allemandes rendaient les honneurs militaires. Hélas ! ces honneurs étaient bien souvent rendus.

Un jour, nous vîmes, du haut de notre promenoir, passer sous la porte de Breslau et entrer en ville une corvée de nos malheureux soldats, allant probablement aux vivres. On reconnaissait à quelques vestiges d’uniforme qu’ils avaient appartenu aux grenadiers de la garde impériale. Ils marchaient fièrement, la tête haute. Mais comme ils étaient amaigris, hâves, déguenillés ! Les Allemands de notre poste sortirent pour les voir passer et quelques-uns d’entre eux leur crièrent : « Paris, capût » Nos hommes passèrent en haussant les épaules sans même tourner la tête. Mes camarades et moi, nous avions les larmes aux yeux.


III

Cependant, je songeais à m’évader. J’en parlai à mes camarades qui avaient déjà beaucoup pensé à cette éventualité et qui n’avaient pas pu la tenter parce que Glogau est à trente lieues de la frontière la plus rapprochée. Il fallait vingt-quatre heures de chemin de fer pour sortir d’Allemagne par la voie la plus courte.

Il eût été plus qu’imprudent de chercher à s’enfuir, sans parler l’allemand ; et c’était le cas de mes compagnons. J’étais