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prisonnier en Allemagne et avait été interné à Wiesbaden. Le loustic de la bande leur dit en me montrant : « Mais nous aussi, nous avons maintenant notre Mac-Mahon. »

Cette plaisanterie a un grand succès ; elle est répétée plusieurs fois pendant la nuit ; de loin en loin, la conversation est interrompue par les mots : « Aber was macht doch unser Mac Mahon ? » (mais que fait donc notre Mac-Mahon ? ) et tout le poste, à chaque fois, de rire aux éclats.

A la pointe du jour, un sous-officier et quelques hommes de garde me font traverser le Rhin pour me conduire à l’hôtel du gouverneur de Mayence. J’attends longtemps dans l’antichambre, entre deux factionnaires.

Vers neuf heures du matin, le colonel d’artillerie français de Salignac-Fénelon vient à passer près de moi ; il s’occupait beaucoup des soldats prisonniers campés autour de Mayence et leur rendait les plus grands services. Il me reconnaît et est très étonné d’apprendre ma détermination. Il veut même m’en dissuader en me montrant tous les ennuis matériels qui allaient en résulter pour moi : l’envoi dans une place forte de l’Est, l’isolement dans une prison où j’aurais à souffrir du froid par le gros hiver, qui se faisait déjà sentir très vivement… Quand il voit que je persiste, il me serre les mains longuement ; puis il rejoint l’aide de camp du gouverneur qui passait à ce moment, le comte de L…

Quelques instans après, cet aide de camp revient me dire très poliment, en français, de la part du gouverneur, qu’on allait m’enfermer dans la prison de la citadelle de Mayence ; qu’il n’y avait pas de chambre vacante, et qu’à leur grand regret, je serais placé avec deux prisonniers civils, « d’une condition inférieure, » le maire et un conseiller municipal de Nemours. Comme je manifestais mon étonnement, il ajouta : « Oui, des républicains ! »

La prison, où je suis dirigé aussitôt après, est au fond de la citadelle de Mayence. Elle me paraît terriblement gardée et, avec cela, très sale. L’escalier est noir, malpropre, poisseux. Le geôlier a l’air rébarbatif, le teint bilieux.

On m’introduit dans une chambre du premier étage où je trouve, en effet, le maire et le conseiller municipal républicains. Nous faisons bien vite connaissance et je ne tarde pas à savoir leur histoire. Un escadron prussien avait été surpris à Nemours par des francs-tireurs. Quelques jours après, les Prussiens