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déclarant que, dans un délai de vingt-quatre heures, je me regarderais comme libre de rejoindre l’armée française ; et le priant de disposer de moi en conséquence.

Le général ne savait pas le français ; de mon côté, je ne voulais pas m’expliquer au moyen de l’allemand que je parle tant bien que mal, en ma qualité d’Alsacien.

J’essayai néanmoins en français de lui faire comprendre ma lettre ; mais je ne réussis à rien ; il persistait à me répéter le mot français : « échanger. » Enfin, après avoir parlementé pendant un quart d’heure, il fit venir un domestique qui parlait les deux langues. Il comprit, et me congédia froidement, sans m’indiquer ses intentions.

Le soir, à dîner, je fais mes adieux à mes amis et rentre me coucher de bonne heure après avoir mis, pour être prêt à tout événement, un peu de linge dans une valise et avoir cousu quelque argent dans la doublure de mon gilet.

Vers dix heures du soir, ma maison est cernée. J’entends des pas lourds dans l’escalier. Ma porte s’ouvre brusquement ; je vois apparaître la tête barbue, effarée de mon propriétaire, le maître de manège. Derrière lui, marchent un lieutenant de chasseurs prussiens et quelques hommes armés. L’officier constate mon identité et me déclare que je suis arrêté.

Je m’habille à la hâte avec les effets bourgeois que j’avais préparés à l’avance ; je prends ma valise et je le suis. Il me fait monter dans une calèche de forme antique qui attendait devant la maison, s’y place avec moi ainsi qu’un sous-officier armé d’un fusil, met un chasseur à côté du cocher, un autre par derrière et m’emmène au grand trot dans la direction de la forteresse de Mayence.

Nous atteignons, vers une heure du matin, le poste de l’une des portes de la place (faubourg de Castel). L’officier de chasseurs rétrograde avec ses hommes sur Wiesbaden, après m’avoir mis entre les mains du chef de poste.

Celui-ci m’indique le fond du corps de garde et je passe ma nuit, assis sur le bord du lit de camp, pendant qu’à l’autre bout de la salle, les hommes, de gros et lourds landwehriens, fument leurs pipes autour du poêle, éclairés par la lampe fumeuse du corps de garde. L’un d’eux leur lit à haute voix un journal de la localité où il était question du maréchal de Mac-Mahon qui, après avoir soigné sa blessure en Belgique, venait de se constituer