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trouvait toujours une place d’honneur, et l’artisan, devenu maître, voyait sa vieillesse respectée. Un esprit de fraternité inconnu du monde païen s’exerçait à la faveur d’institutions légales, et chaque citoyen se trouvait compris obligatoirement dans une mutualité corporative, dont le patrimoine, fondé par la piété des ancêtres et grossi par la générosité des confrères, permettait d’assister les infirmes et les vieillards. Pour les isolés, la charité avait multiplié les fondations pieuses, — asiles, hôpitaux, secours à domicile, — et Lamennais a pu dire en parlant de cette période : « Les croyances établies agissant à la fois sur les gouvernemens et les individus, la société se trouva régie par une puissance infinie d’amour. »

Aussi, en dépit des misères et des souffrances causées par les fléaux et les guerres incessantes, la question n’avait-elle pas le caractère d’urgence et de généralité qu’elle présente aujourd’hui, et pendant longtemps on put se borner à donner quelques pensions aux militaires et aux fonctionnaires que leurs fonctions avaient arrachés du sol. La situation n’est plus la même de notre temps : la Réforme d’abord, puis la Révolution, ont détruit l’organisation corporative, dispersé le patrimoine des travailleurs et des pauvres, et porté une atteinte profonde à la constitution de la famille. La société moderne, établie d’après une conception individualiste, laisse à chacun le soin d’épargner à sa guise et se borne à charger l’État, d’une manière générale, de pourvoir à toutes les misères. Chacun pour soi et l’État pour tous ! En vertu de ce principe, l’État donne des pensions à ses employés et laisse à l’Assistance publique la mission de faire le reste. On sait comment elle s’y prend et à quels résultats aboutit la charité officielle. Si on supprimait les innombrables asiles fondés et défrayés par les particuliers, on pourrait constater l’absence à peu près complète de refuges pour la vieillesse des travailleurs.

M. Guieysse a eu raison de le dire, dans un rapport à la Chambre des députés, la nécessité d’une solution s’impose. Le Code civil avec le partage égal, les baux à court terme, ont rendu instable le foyer des ouvriers de l’usine et de la terre ; le cultivateur lui-même se voit trop souvent arraché dans sa vieillesse à la ferme qu’il a cultivée toute sa vie. D’autre part, les progrès de la grande industrie, la facilité des communications, le service militaire et l’accroissement du nombre des fonctionnaires