Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/321

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le 4 décembre 1864, le docteur Svoboda tenait sa promesse en insérant dans son journal un feuilleton intitulé : Un poète populaire styrien[1]. Il y vantait les dispositions naturelles du jeune paysan, donnait quelques indications sur sa personne, quelques extraits de ses lettres, et quelques citations de sa prose et de ses vers. Avant tout, il faisait appel à la charité des habitans de la grande ville en faveur de leur humble compatriote. Ne se trouverait-il pas un Mécène pour préparer à cet autodidacte une existence plus en harmonie avec ses facultés que celle d’un artisan villageois ? Rosegger, qui paraît avoir gardé sans cesse vis-à-vis des citadins quelque chose de la méfiance instinctive du paysan, allait éprouver en cette circonstance qu’il est de braves gens même en ces abîmes de perdition qu’on appelle les cités modernes. Il faut lire, vers la (in de son œuvre biographique la plus développée, Waldheimat, le récit de la soirée de Noël (1864) qui le vit rentrer au logis, sans nul pressentiment, afin de passer chez ses parens les vacances inaugurées par cette fête joyeuse, et la tête farcie déjà de projets littéraires propres à remplir ses heures de liberté. Sa mère fondait la graisse du porc récemment sacrifié en vue des provisions d’hiver ; son père cherchait dans le grenier l’encens nécessaire aux cérémonies domestiques de cette nuit solennelle. Quelques instans se passèrent donc en préparatifs matériels de tout genre, puis Marie Rosegger dit à son fils : « Sais-tu, garçon ? » et cette tournure de phrase était, à elle seule, l’indice d’un événement important, « il te faudra aller demain à Krieglach. On dit qu’à la poste, il y a toutes sortes de lettres et d’objets pour toi… et on dit que tu es sur le nouveau journal… et qu’à la paroisse, les gens ne parlent que de toi depuis quelques jours. Sais-tu ce que cela veut dire ? » Mais déjà le tailleur ne tenait plus en place. Non pas demain, à l’instant même il veut jouir de sa gloire nouvelle. Il prend donc son habit du dimanche, allume la lanterne d’étable, « qui, depuis des années avait un verre cassé sur une de ses faces, » et se met en route dans la nuit vers Krieglach. La poste était d’ailleurs fermée ce soir-là, aussi le sommeil du jeune héros fut-il des plus agités. Mais, le lendemain en ce beau jour de Noël où la chrétienté

  1. Ce feuilleton a été réimprimé récemment avec la conférence du Dr Rabenlechner, Rosegger der Didaktiker, dont le but était d’appuyer la création d’une Association Roseggerienne : c’est dire la popularité actuelle de notre auteur au moins dans certaines sphères de l’opinion. Litteraturbilder, Baum, 1900. Leipzig.