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valet de ferme, afin d’écrire, à quelques lieues de su demeure, le testament d’une vieille paysanne originale, affligée de spasmes nerveux qui ressemblaient à des accès de fou rire ; testament qui se réduisit d’ailleurs à une sorte de grimoire, composé de proverbes sans suite, et de mots sans lien apparent.

On l’a vu cependant, la voix de l’opinion publique désignait sans hésitation pour la prêtrise un enfant disposé de la sorte, et c’est là d’ailleurs, nous l’avons dit, le plus grand honneur et la plus vive joie qui puissent échoir en partage à une famille de paysans styriens. Mais l’appauvrissement croissant des parens de Pierre rendait difficile l’exécution de ce projet. Comment procurer sans frais à l’enfant l’instruction nécessaire ? L’effort fut tenté malgré tout : un curé du voisinage promit de lui donner les premiers élémens de l’éducation canonique, tandis qu’il trouverait l’hospitalité chez un fermier de la même paroisse. Mais, là comme sur les bancs de l’école, le petit rêveur sensitif et impressionnable rencontra des gamins de son âge dont il ne put supporter les brutales taquineries : et, de plus, si près pourtant de sa forêt natale, il éprouva dès lors la première atteinte de ce mal du pays, dont il devait expérimenter à plusieurs reprises la toute-puissante influence sur son système nerveux. Au bout de trois jours, il s’enfuyait donc de chez son hôte bénévole, et rentrait à pied au logis paternel pour y reprendre courageusement, malgré sa faiblesse native, la lourde besogne des champs.

Toutefois, aux approches de l’adolescence, Rosegger avait enfin trouvé le moyen d’étendre un peu le cercle de ses lectures, jusque-là purement religieuses, et de fournir des alimens nouveaux à son juvénile appétit de savoir. Avec les quelques sous que lui valaient des commissions faites pour sa mère, ou de petits services rendus à des voisins, il achetait chaque année aux foires de la région des calendriers populaires, de portée plus relevée et d’exécution plus moderne que la vénérable publication aux images rouges et noires dont se contentaient ses pères[1]. Là, après un court almanach pratique, on trouvait encore des historiettes, des chansons, des descriptions de pays lointains, des anecdotes plaisantes et des images pittoresques. L’enfant se pénétra de cette littérature modeste : il s’efforça bientôt à l’imiter de son mieux, et nous n’exagérons guère en disant que tel est

  1. Ah ich jung noch war.