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en son cœur : sympathie d’autant plus naturelle que, c’est là un fait d’expérience, les garçons offrent souvent au physique comme au moral quelque chose des traits maternels. Le hon Lorenz avait épousé par amour, en 1842, une pauvre fille n’apportant en dot que sa douceur et sa bonne volonté au propriétaire aisé qu’il était à cette époque. Enfant d’humbles charbonniers, la jeune Marie avait dès longtemps perdu son père, dont on assurait cependant qu’il savait lire, et connaissait la lettre moulée ; cas si rare en sa condition qu’on le soupçonnait pour ce fait d’une origine étrangère au pays ! Et si l’on s’intéresse aux jeux subtils de l’hérédité, c’est peut-être, on en conviendra, par ce grand-père maternel mal connu qu’a pénétré dans le sang rustique des Rosegger le filon littéraire, dont le petit-fils de l’intrus devait tirer des monumens aussi durables que l’airain. Marie Rosegger était d’ailleurs lettrée elle-même, d’une tournure d’esprit gracieuse et poétique, instruite dans l’Écriture sainte, et la mémoire meublée de mille contes ou légendes du temps passé. Le roman le plus célèbre de son fils, le Chercheur de Dieu, offre un passage que son souvenir inspira sans doute, et qui donnera quelque idée des enseignemens dont ses soins prémunissaient la jeune âme confiée par le ciel à sa responsabilité. Une pauvre paysanne reçoit la confidence des premiers doutes éveillés par le spectacle du monde dans le cœur d’un enfant scrupuleux et réfléchi. « Et, autant pour dissiper sa propre angoisse que pour égayer la tristesse du jeune garçon elle commença à lui parler de Dieu et du ciel, et le fit à sa manière : Au ciel, c’est comme dans une église, seulement mille fois plus beau. Les lumières qui y brûlent, tu ne pourrais pas les compter, pas plus que les petits anges qui y volent. Devant, sur des nuages d’or on voit la Sainte Trinité, tout à côté, notre chère Dame ; puis viennent les apôtres, puis les martyrs et tous les saints. Ils ont des robes blanches, des palmes entre les mains, et chantent l’hymne céleste, tandis que le saint roi David les accompagne sur sa harpe. Après viennent les bienheureux ; parmi eux, il y a tes grands-parens, et les morts que tu as connus. Ils jouissent de la félicité céleste, et pourtant, ils ont les yeux humides ; car une chose les peine au sein des joies éternelles, c’est de nous savoir encore dans le danger et dans la souffrance. À son côté, chacun d’eux conserve donc une place vide, et y dépose quelque chose pour qu’on ne l’occupe pas ; mon enfant, ce sont les places pour ceux qu’ils ont aimés sur