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débordante. Ce sont alors des enfans indiscrets lutinant, avec quelque lourdeur, une tendre mère qui sourit malgré tout à leurs entreprises dénuées de malice.

Pourtant, en d’autres circonstances, ces enfans abusent des enseignemens maternels au point de les détourner entièrement de leur sens, et de transformer une doctrine de salut en un arsenal de guerre intestine, où ils trouveront des armes empoisonnées pour les mettre au service de leurs passions et de leurs rancunes. On croit encore là-haut aux sorcières qui savent jeter des sorts ou traire de loin les vaches de leurs ennemis, et, volontiers, on les porterait sommairement au bûcher sous l’empire de l’exaltation malfaisante qui s’empare parfois inopinément d’une foule prompte à se suggestionner elle-même. Ou bien, sur les menaces incohérentes d’un mendiant déséquilibré, qu’aura mal satisfait l’aumône dont il fut gratifié, des groupes entiers de population s’imagineront prochaine la venue de l’Antéchrist, ou du Jugement dernier, et verront, pour longtemps, leur imagination troublée, leur existence assombrie par ces chimères. Nous aurons à revenir sur des abus qui sont les conséquences de l’infirmité humaine. Ils s’accompagnent de superstitions plus innocentes, survivances tenaces du paganisme rural. On jette par exemple du pain dans l’eau quand une inondation menace, ou de la farine dans le vent afin de les « nourrir » et d’apaiser les élémens par un sacrifice propitiatoire. La chasse sauvage de Wotan et les noces symboliques de Freya ont aussi laissé des traces dans les mémoires. Mais les plus touchantes de ces erreurs ont trait à la piété envers les âmes du purgatoire, qui se marie de façon singulière avec la vieille religion des ancêtres. Le jour des Morts, 2 novembre, les « pauvres âmes » se voient, dit-on, délivrées pour une journée entière de leurs tourmens expiatoires, et reviennent alors errer sur la terre au voisinage des lieux qu’elles ont habités jadis : tantôt elles revêtent une forme animale, et l’on se garderait de molester en ces heures un reptile ou un crapaud vagabond, par la crainte d’offenser un parent décédé ; tantôt, elles demeurent tout à fait invisibles, mais gardent néanmoins une sensibilité délicate sous leur figure éthérée, car les bonnes ménagères enferment d’avance couteaux et fourchettes, au fil ou aux dents desquels les pauvres défunts pourraient se blesser dans leur vol étourdi. On va jusqu’à laisser le soir une lampe allumée sur la table, avec une jatte bien remplie