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une commune entière révoltée contre un artiste trop consciencieux qui, dans l’exécution d’un nouveau Calvaire en bois sculpté, a représenté le mauvais larron avec le visage crispé d’un criminel endurci. N’est-ce pas là une offense évidente à la présence du Christ, le Dieu d’amour ? Et, en dépit de la tradition évangélique, le praticien devra reprendre le ciseau, et verser jusque sur le front du coupable sans repentir un rayon d’attendrissement et de miséricorde. — Il lui advient fréquemment, à ce larron malencontreux, d’être dévotement baisé à son tour par les pèlerins qui ont déjà rendu le même hommage à ses deux voisins de gibet : naïveté qui suscite, il est vrai, une douce gaîté parmi les assistans mieux instruits dans les récits du Nouveau Testament. Mais pourquoi donc, après tout, un pécheur, qui, dans une représentation franchement réaliste apparaît vivant encore et par là susceptible d’un mouvement de contrition finale, serait-il exclu des bénéfices d’une compassion universelle et d’une instinctive mansuétude ?

Nous dépasserions le cadre de cette esquisse en abordant les innombrables usages et traditions populaires dont se pare la pittoresque existence des Styriens demeurés fidèles aux enseignemens de leurs pères : on retrouve, du reste, des vestiges analogues chez celles de nos populations rurales qui ont été le moins touchées par les vertigineuses transformations du temps présent, et, de toutes parts, les fervens du folklore en ont recueilli pieusement les débris au cours de ces dernières années. — Mais une remarque qu’inspire encore le spectacle de cette société, et qui fera comprendre quelques traits du caractère chez le poète sorti de son sein, c’est qu’il s’est développé parmi ces humbles paysans les élémens d’une véritable aristocratie. Phénomène qui surprendra moins si l’on songe que la possession héréditaire du sol fut toujours le fondement d’une pareille stratification sociale. — D’ordinaire, les seigneurs, propriétaires des grands domaines, résident peu dans ces contrées inhospitalières ; ils n’apparaissent que de loin en loin, à l’occasion d’un déplacement de chasse. Aussi, pour le pauvre bûcheron ou le simple valet de charrue, dépourvus de points de comparaison, le riche paysan, le possesseur de la ferme importante, du territoire étendu, et du troupeau considérable, apparaît-il avec tous les attributs de la grandeur. Il a les privilèges et les charges de la supériorité sociale à ce point que jadis sa qualité d’administrateur nécessaire, de chef