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Marbot, le capitaine de grenadiers Fourcart appartenaient, tous trois, à l’état-major de Bernadotte… Etrange en vérité !… Ainsi, Bertrand, l’expéditeur des libelles, entretenait des relations suivies avec les familiers d’un parent, d’un allié du Premier Consul ? Et, soudain, l’avisé Dubois crut tenir le mot de l’inquiétante énigme : le passé de Marcellin Fourcart la faisait aisément deviner… Ardent républicain, protégé autrefois par des représentans de la Montagne, cet Ardennois, né à Mouzon, passait pour être un favori de Bernadotte. Il avait su, tout autant que Simon, gagner le cœur du « général en chef-conseiller d’État. » Son nom se lit souvent, cité avec éloges, dans la Correspondance de l’Armée de l’Ouest : plusieurs faits d’armes et des missions secrètes ; le grenadier, traqueur de Chouans, y apparaît aussi comme un acheteur de consciences royalistes. Et de fait, moitié soldat, moitié agent, le capitaine était de ces finauds qu’appréciait tant l’ancien sergent « Belle-Jambe. » Bernadotte, en ce moment, demandait pour sa créature un grade de chef de bataillon, sans pouvoir l’obtenir. Fourcart le jacobin, mal noté dans les bureaux de la Guerre, venait de recevoir l’ordre de partir pour Rouen, et de changer d’état-major. Il se montrait fort mécontent, se plaignait, et, de jour en jour, différait son départ. La lettre de service datait de floréal ; un long mois s’était écoulé, et cependant l’officier n’avait pas encore obéi… Pourquoi ?

Les indicateurs de la préfecture apportèrent bientôt à Dubois d’autres avis, fort importans. Le suspect Fourcart habitait, à présent, Versailles ; il y demeurait, en camp volant, à l’auberge, au Chariot d’Or, dans un quartier perdu de la ville. Versailles n’était, en ces jours-là, qu’une vaste solitude où la police fonctionnait mal. Le parc, aux murailles croulantes, les Trianons et leurs massifs servaient de champ d’asile à bien des malandrins ; même on avait pu voir, au temps du Directoire, des chauffeurs se clapir dans les bois des Gonards. À l’hôtellerie du Chariot d’Or, Fourcart n’avait donc pas de surveillance à redouter : un espion aurait été brûlé trop vite. Marié, et jeune encore, — il n’avait que trente-trois ans, — le citoyen menait pourtant une existence bien casanière ; sa femme et lui ne fréquentaient personne, sauf un commissaire de police. Pourquoi cette précaution ? Indice révélateur ! signe évident d’une mauvaise conscience !… On savait aussi que cet homme à mystères se rendait à Paris, pour travailler avec Bernadotte ; parfois même,