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intimes desseins : il en recevait ainsi de sages conseils. Lavalette, au surplus, lui était un auxiliaire précieux. « Commissaire central du Gouvernement, près les Postes, » — tel était, en 1802, son titre officiel — ce personnage tenait à sa discrétion les secrets, l’honneur même de toutes les familles. Fort galant homme, il avait rendu moins odieuse l’improbe administration façonnée par le Directoire, bien que trop souvent il se fit le pourvoyeur contraint du « Cabinet noir… » En ce temps de crise politique, Lavalette venait donc, chaque soir, renseigner le Premier Consul, et le préfet Dubois devait le rencontrer à la Malmaison.

Par les radieuses journées de prairial fleuri, Bonaparte travaillait, d’habitude, en le silence de l’ermitage qu’on entrevoit, à droite, blotti dans les lilas, sous la parure des clématites grimpantes. Volontiers il préférait la simplicité de ce pavillon aux superbes lambris de sa bibliothèque, à ses colonnes doriques, ses incrustations de cuivre, ses caissons italiens, ses fresques pompéiennes. Ouvrant sous les ombreuses profondeurs d’une avenue de tilleuls, cet oratoire voué au labeur permettait au Consul de se livrer à son fiévreux et perpétuel besoin d’agitation. Fort jeune, droit et svelte en sa taille exiguë, n’étant pas encore alourdi par cette obésité impériale dont les premières menaces le chagrinaient déjà, il se complaisait à la marche, et, par les chauds après-midi d’été, l’habit vert à collet écarlate, les bottes à revers anglais, le petit chapeau à cocarde, passait et repassait avec lenteur sous les arceaux bleutés des hautes frondaisons. Dans le cabinet de travail, un secrétaire, — Bourrienne et plus tard Meneval, — attendait, au milieu des dossiers d’affaires, la brusque parole et le geste impérieux de ce maître exigeant. Et soudain, le promeneur faisait irruption dans la pièce, dictait d’un ton saccadé quinze ou vingt phrases de suite, puis reprenait aussitôt son va-et-vient méditatif. Les contemporains ont raconté quel supplice était, pour l’infortuné secrétaire, la transcription de ces commandemens prononcés à voix rapide, avec un accent corse, et dont les mots techniques ou les noms propres étaient dénaturés souvent… C’est là, dans le mystère de cette retraite, que Bonaparte écoutait d’ordinaire soit Fouché, soit Dubois ; et c’est là, sans doute, que le préfet de police lui remit les libelles.

Selon toute apparence, la colère du Consul dut éclater,