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du Conseil, mais on ne saurait nier que tel n’en ait été l’esprit. La Chambre était stupéfaite et son anxiété allait croissant. Un député, qui a des amis à Dunkerque, a cherché à se mettre en relation avec eux au moyen du téléphone : le téléphone ne marchait pas. Interrogé dans les couloirs sur cette singulière aphonie d’un instrument qui a pourtant fait ses preuves, M. le ministre des Postes et des Télégraphes a répondu que c’était la faute d’un orage. Il faut croire que, tout d’un coup, l’orage s’est dissipé, à moins cependant que, par un respect bien naturel pour le gouvernement, il n’ait arrêté que les dépêches privées et ait laissé passer les dépêches officielles. Quoi qu’il en soit, M. le président du Conseil est remonté triomphalement à la tribune avec deux dépêches, l’une télégraphique, l’autre téléphonique, venant à la fois du sous-préfet de Dunkerque. Dans la première, la situation était présentée comme presque désespérée ; Dunkerque était à feu et à sang ; l’émeute venait battre les murs de la sous-préfecture elle-même et en brisait les carreaux. La Chambre, en écoutant cette triste dépêche, se disait que, si elle n’était pas tendancieuse, — et comment l’aurait-elle été puisqu’elle venait du sous-préfet et non pas des jésuites ? — les autres, celles que M. Combes avait si sévèrement qualifiées, n’avaient rien d’exagéré. Mais, grâce à Dieu ! la seconde dépêche, celle du téléphone, annonçait que tout était fini, bien fini, que les ouvriers et les patrons s’étaient mis d’accord et que le travail reprendrait le lendemain matin. Cette dernière dépêche, arrivée avec un si grand à-propos, n’était ni tout à fait vraie, ni tout à fait fausse. Le travail n’a repris que le surlendemain, et il a fallu faire venir de nouvelles troupes à Dunkerque pour maintenir en respect les ouvriers qui exigeaient la mise en liberté immédiate des individus arrêtés au cours de l’émeute. Mais le vote parlementaire était acquis, et c’était un vote de confiance dans le gouvernement : on le chargeait expressément de réaliser toutes ses promesses, et notamment, d’user de toute son influence pour faire accepter l’arbitrage, — et on entendait par là son propre arbitrage, — aux patrons et aux ouvriers.

Les ouvriers l’acceptent : ils y voient un moyen pour eux de sortir de la situation fausse où ils se sont mis. Et puis, ils savent bien, ou du moins ils se croient sûrs que M. Combes ne leur donnera pas tout à fait tort, de sorte qu’ils tireront quelque avantage de la grève. Nous parlons surtout des ouvriers du Nord et du Pas-de-Calais, qui ont borné leurs revendications immédiates à la restitution intégrale de la prime, c’est-à-dire à une augmentation de leurs salaires ; Les autres ne sont pas aussi sûrs d’obtenir satisfaction. Mais les patrons accepte-