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d’observation et de psychologie, ou de caricature ; esprit qui n’est qu’un jeu de sons, comme ailleurs il est un jeu de mots ; esprit, heureuse vision des êtres et des choses ; tout esprit et tout l’esprit menace de se retirer de notre art. L’opéra bouffe italien a vécu ; l’opéra-comique de France n’est plus qu’un souvenir. La musique se tourmente et nous tourmente chaque jour davantage ; de plus en plus, elle fait mentir la parole du philosophe : « Ce qui est beau est facile et le génie a les pieds légers. » L’artiste, qui naguère se jouait dans son œuvre, s’y embarrasse et s’y perd aujourd’hui. Il la dominait, elle l’accable et surtout elle le guindé et le raidit. Pour la musique une moitié du monde et de la vérité s’est voilée. Sans doute ce n’est pas la plus noble, mais c’est la plus brillante, et sur elle il ne faut pas laisser descendre la nuit. Qui donc a dit que la musique d’un peuple est faite des larmes qu’il a répandues ? Belle parole, mais qui n’est juste qu’à demi. Le rire de l’homme compte aussi dans son patrimoine de beauté. Il le savait bien, le vieux maître d’Italie, le grand tragique, le grand patient, qui voulut avant de mourir être une fois le grand rieur, et nous laissa Falstaff, un chef-d’œuvre d’esprit et de joie, comme le dernier de ses dons et peut-être le plus précieux.

Ici même, à propos d’un peintre italien de la Suisse, M. Robert de la Sizeranne écrivait éloquemment : « Quand on trotte le soir, en voiture, dans la montagne, une des impressions les plus subtilement évocatrices qu’on puisse recueillir est d’entendre l’angélus tintant d’un clocher lointain et égrenant ses sons graves à travers le bruit du grelot des chevaux. Celui qui passe distraitement entend rire les grelots. Celui qui prête l’oreille entend pleurer la cloche. Et c’est toute la peinture de ce maître et c’est toute la musique de la vie. »

Soyons l’un et l’autre passant. Tâchons de comprendre, de sentir, d’aimer toute la musique et que jamais aucune voix ne se taise, ni celle de la cloche, ni celle des grelots.


CAMILLE BELLAIGUE.