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passe. Ainsi l’esprit de Mozart, sans, être la dupe du cœur, en ressent le voisinage et l’influence.

Il anime, cet esprit, outre les Noces de Figaro presque tout entières, une bonne moitié de Don Giovanni, dramma giocoso. Il s’y mêle à l’amour, parfois même à la mort. Il y fleurit jusqu’à la pierre des tombeaux dans la scène héroï-comique du cimetière, où, sans une note insolente, encore moins sacrilège, la musique, qui se moque du poltron, ne prend point parti pour l’impie. Même opposition ou plutôt même conciliation et même harmonie dans la scène du bal. Les trois masques font leur entrée aux sons d’un allegro mineur, sérieux, sinon pathétique par le mode, mais, par le mouvement, spirituel et presque joyeux. Le motif du menuet qui précède, tragique et sombre lorsqu’il fait escorte aux mystérieux compagnons, n’est que délicieux de courtoisie, d’élégance et d’esprit sur les lèvres de don Juan et de Leporello. Que dire enfin de la sérénade, que n’ait dit le poète qui l’a le mieux comprise. N’est-ce pas d’abord une ironie, presque une dérision de l’amour même, que la destination de ces deux couplets, et pour un tel « objet » un tel chant !


Respirant la douleur, l’amour et la tristesse ;
Comme il est vif, joyeux ! Avec quelle prestesse
Il sautille ? On dirait que la chanson caresse
Et couvre de langueur le perfide instrument,
Tandis que l’air moqueur de l’accompagnement
Tourne en dérision la chanson elle-même
Et semble la railler d’aller si tristement.
Tout cela cependant fait un plaisir extrême.
C’est que tout en est vrai, c’est qu’on trompe et qu’on aime,
C’est qu’on pleure en riant…


Et c’est le double sentiment, c’est toute la vérité de la sérénade, et de Don Juan, et de la musique de Mozart, et de la vie elle-même. C’est ainsi que le maître l’a vue et qu’il l’a prise. Elle lui fut amère, atroce parfois ; mais il ne se vengea d’elle que par des sourires, et l’esprit de Mozart fut la forme exquise de son courage, la fleur la plus brillante de sa vertu.


VI

Esprit des Mozart ou des Haydn, des Auber ou des Rossini, voire des Offenbach ; esprit de mouvement et d’intrigue, esprit