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voisine. J’ai reçu exactement votre épître qui a tant de prix pour moi, émoi, et j’ai appris par elle, ritournelle, que Monsieur mon oncle, furoncle, et Madame ma tante, charmante, et vous-même, blême, vous vous portez tous très bien, bien[1]. » En musique, il a certainement trouvé des assonances plus rares et plus piquantes. Mais ce que ses lettres mêmes révèlent, c’est justement l’idéal en quelque sorte partagé dont nous parlions plus haut ; c’est on ne sait quelle souriante mélancolie, que sa musique, à lui seul, a respirée. Ecrivant de Paris, où sa mère venait de mourir, à son père et à sa sœur, après les plaintes les plus touchantes, les plus nobles même et les plus courageuses, après les tendres assurances d’une affection que son chagrin redoublait encore, Mozart poursuit en ces termes : « J’ai reçu exactement votre lettre du 29… et je n’ai pu m’empêcher de rire de tout mon cœur. » De quoi donc ? de la mésaventure d’un organiste ivrogne, rapportée à Mozart par son père, et ce Irait innocent avait suffi pour égayer l’enfant orphelin et malheureux.

Δαϰρυόεν γελόσασα (Daskuoen gelosasa), « riant à travers ses larmes. » Le mot du vieux poète définirait assez bien le génie du musicien éternellement jeune. « Oh ! pour du sentiment, c’est un jeune homme qui… » Suzanne pourrait le dire de Mozart comme de Chérubin. On sait que la musique de Mozart n’a pas seulement purifié, mais attendri la comédie de Beaumarchais ; y laissant tout ce qui brille, elle en a retiré tout ce qui blesse. Il suffit de comparer l’une à l’autre les deux partitions du Barbier de Séville et des Noces de Figaro pour reconnaître aussitôt ce que l’esprit a de plus sec et de plus aigu chez Rossini, chez Mozart de plus moelleux et de plus rond. Il n’est pas un personnage de Beaumarchais que Mozart n’ait transfiguré. Sans parler de Chérubin, qu’il a presque divinisé, ni de la rêveuse comtesse, quelle langueur, qu’il trouble n’a-t-il pas su prêter à Suzanne, soit qu’elle badine avec le comte, soit que, sous les grands marronniers, elle l’attende, elle l’appelle, et d’une voix qu’elle-même ne se connaissait pas ! Sans parler de Chérubin, disions-nous. Parlons de lui, au contraire, ne fût-ce qu’en deux mots ; pour rappeler, non pas dans ses deux fameux airs, mais à la fin de son alerte duetto avec Suzanne, quand il va sauter par la fenêtre, une demi-mesure mineure, une ombre qui ne fait que passer, mais qui

  1. Traduction de M. H. de Curzon.