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jour, tant de modistes avec des princes palatins, tant de comédiennes avec des ambassadeurs tout honteux de leur petit mérite, sans compter les ambassadeurs sacrifiés au premier ténor par des comédiennes désintéressées. Je ne suis pas exclusif. Je conviens que l’Enéide a de belles parties. Je ne dis pas qu’on ne peut s’enchanter de l’Odyssée… Mais si l’on me demande quel ; est le chef-d’œuvre des chefs-d’œuvre, je ne connais rien qui approche, même de loin, du merveilleux poème de Scribe où l’on voit la reine de Portugal épouser, au son des fanfares d’Auber, un jeune hidalgo, sans sou ni maille, qu’elle a rencontré en voyage, un jour de pluie, abrité sous le même rocher qu’elle. »

Telle est, sauf de légères variantes, la vision, ou la conception de l’idéal et de la vie qu’Auber et Scribe ont toujours eue. Voilà les héros et les héroïnes, voilà les destins que la musique d’Auber a chantés. Comment voudriez-vous qu’elle ne se moquât point, que même elle fît autre chose que se moquer ? Weiss parlait tout à l’heure de l’amour et du mariage tel qu’Auber et Scribe l’entendaient. Mais rien, dans leur étonnant répertoire, fut-il jamais plus sérieusement traité ? Ce n’est pas la nature : témoin, dans Haydée, le finale, — en forme de valse, — de l’arrivée à Venise. Croyez-vous que ce soit « la royauté ? » Je vous rappellerais alors la souveraine des Diamans de la Couronne et, au dernier acte, quand elle se retrouve elle-même, la distinction, la majesté de ses « motifs » royaux. Sentimens, personnages, Auber a tout vu, tout pris par les plus petits côtés, par ceux dont on ne fait que sourire. Le nom même de certaines de ses œuvres semble une ironie. La Fiancée, la Sirène, Actéon, manquent en quelque sorte ou mentent à la poésie, aux promesses mystérieuses de leur titre.

Souvent un amant
Ment
En offrant sa foi ;
Moi,
Fidèle en amours
Je serai toujours.

Ce sont les paroles du « grand air » d’Actéon ; et la musique leur ressemble. Ailleurs, partout ailleurs, on en chante bien d’autres : ceci, par exemple, dans les Diamans de la Couronne :

La señora veut-elle, — sur sa table, —
Qu’on lui serve son chocolat ?