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demi sérieux, insolens à demi. « Le nez de Cléopâtre, s’il eût été plus long… » Qu’une note également soit plus longue, ou plus brève ; qu’un accent porte à faux ; qu’un mouvement se hâte ou se ralentisse, et l’ordre de la musique est changé ; l’autre face du monde se révèle et le pas du sublime au ridicule est franchi. Je sais, dans la Périchole, une de ces rencontres, volontaires ou fortuites, et qui laissent à penser. Rien n’est plus facile que de chanter sur l’accompagnement de la fameuse « Lettre » le duo d’amour de la Flûte enchantée. Dans le rythme, dans les harmonies familières, l’exquise mélodie se trouve contenue et cachée. Une affinité de ce genre nous déconcerte et vaguement nous inquiète. Elle nous avertit que le domaine de l’idéal est flottant et sa limite incertaine. Entre Offenbach et Mozart, de la chanson gentille à l’immortelle mélodie, qu’il y ait autant de distance et si peu, voilà peut-être l’ironie suprême de cette musique et sa plus spirituelle leçon.


V

Fleur de l’imagination, du bon sens ou de la folie, l’esprit enfin peut se définir une certaine façon, légère, aisée et brillante de sentir la vie et de prendre les choses. Or, il s’est trouvé des musiciens qui les ont prises, le plus souvent ou toujours, de cette façon-là.

Auber fut l’un d’entre eux. « Faire chanter les chaises et les fauteuils : » ce mot du maître, que nous citions plus haut, est bien la devise ou le programme de son art ; il définit la gageure que, pendant un demi-siècle, Auber a tenue et gagnée. Spirituel avec moins d’outrance qu’un Offenbach, un Auber a pourtant mis en musique des choses peu musicales, ou « musicables : » des faits, des événemens, des aventures beaucoup plus que des sentimens ou des âmes. Et quelles étonnantes aventures ! Voilà un musicien qui n’a jamais cru que « le purement humain » fût l’objet ou le domaine véritable de la musique. Aussi bien son librettiste ordinaire ne le croyait pas davantage. Il y a des jours où soi-même, avec eux, on en doute, où volontiers on reprendrait pour son propre compte cette boutade de Weiss : « Au fond, pensez-en ce qu’il vous plaira. Si je suis ma pente, il n’y a jamais eu pour moi qu’un auteur parfait : c’est Scribe, qui a marié tant d’officiers de fortune avec des princesses belles comme le