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continuité du mouvement et du rythme, l’enroulement de la mélodie entretient et renouvelle jusqu’au bout. Ailleurs, lorsque la Suzanne de Beaumarchais sort du cabinet où le Comte croyait trouver le page, elle n’a pour son maître que deux mots de raillerie : « Je le tuerai ! Je le tuerai !… Tuez-le donc, ce méchant page ! » La Suzanne de Mozart est plus cruelle ; elle l’est du moins avec plus de complaisance. C’est une longue phrase qu’elle chante, une phrase impitoyable, où l’ironie se distille en notes piquées, s’étale en notes tenues, en cadences moelleuses et largement épanouies. Le sentiment s’accroît et s’avive au fur et à mesure que la mélodie se développe. Ainsi la musique, loin de rien délayer, comme Beaumarchais l’en accusait jadis, renforce, redouble tout, et, dans l’ordre de l’esprit, aussi bien qu’ailleurs dans l’ordre de la passion, elle sait ici, mieux que la parole, arrêter « l’instant, qui est si beau. »

Spirituelle par le mouvement, la musique peut l’être encore par le rythme ou l’intonation, par les modes et par les timbres.

Si le timbre est la couleur des sons, il faut reconnaître que la palette la plus riche n’appartient pas au poète, mais au musicien. De quels tons, de quelles nuances les quatre voix humaines et les voix sans nombre de l’orchestre ne disposent-elles pas ? La bouffonnerie de certaines symphonies dites burlesques (il en est de Haydn) tient pour une grande part à la sonorité familière ou triviale, plaisante ou ridicule des instrumens employés. Le Wallenstein de M. Vincent d’Indy renferme, si j’ai bonne mémoire, un sermon prêché par des bassons goguenards, qui pourrait bien être la seule inspiration comique d’un maître habituellement sérieux. Plus français, voire gaulois, Gounod s’est permis, dans le Médecin malgré lui, quelques effets d’instrumentation pour ainsi dire physiologique ou naturelle, dont la prose même de Molière n’égale pas la fidélité.

L’esprit, en musique, peut tenir à l’intonation, à l’intervalle plus ou moins étendu que franchit la voix. Gounod encore sut donner à telle phrase de son Sganarelle : Messieurs, je ne suis pas médecin, je vous jure ! une inflexion non moins spirituelle, et par les mêmes moyens, que la protestation, tremblante et piteuse aussi de Leporello, surpris et battu sous le manteau de son maître.

Il n’est pas jusqu’aux modes eux-mêmes qui n’aient de l’esprit, et du plus délicat. Sur le début du duo célèbre entre