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II

Sainte-Beuve a dit quelque part en parlant de Beaumarchais : « Je prends le mot d’esprit avec l’idée de source et de jet perpétuel. » Il faut le prendre de même quand on parle de musique, et justement de la musique écrite sur les deux chefs-d’œuvre de Beaumarchais. Une chose étonne, c’est que Beaumarchais, musicien pourtant, ait déclaré la musique incapable de ce genre l’esprit. A ceux qui s’étonnaient qu’il n’eût pas fait un opéra-comique du Barbier de Séville, la pièce étant d’un genre à comporter la musique, on sait les raisons qu’il donna : « Notre musique dramatique ressemble trop encore à notre musique chansonnière, pour en attendre un véritable intérêt ou de la gaîté franche… Moi qui ai toujours chéri la musique sans inconstance et même sans infidélité, souvent, aux pièces qui m’attachent le plus, je me surprends à pousser de l’épaule, à dire tout bas avec humeur : « Eh ! va donc, musique ! N’es-tu pas assez lente ? Au lieu de narrer vivement, tu rabâches. Au lieu de peindre la passion, tu t’accroches aux mots. Le poète se tue à serrer l’événement, et toi tu le délayes. Que lui sert de rendre son style énergique et pressé, si tu l’ensevelis sous d’inutiles fredons ? Avec ta stérile abondance, reste, reste aux chansons pour toute nourriture, jusqu’à ce que tu connaisses le langage sublime et tumultueux des passions. »

Au défi que l’auteur du Barbier de Séville et du Mariage de Figaro portait à la musique, aux reproches de stérile abondance et surtout de lenteur, la musique des Noces et du Barbier n’a pas trop mal répondu.

Il semble bien que l’esprit musical d’un Mozart, d’un Rossini plus encore, ait pour élément principal, — je ne dis pas unique, — le mouvement. La musique tire du mouvement des effets autrement variés et puissans que ne fait la parole. Elle se meut l’abord dans un plus large espace ; elle monte plus haut et descend ou tombe plus bas. Mais surtout elle se meut avec plus de rapidité. La voix ne saurait parler, sous peine de devenir inintelligible, aussi vite qu’elle chante ou que joue un instrument. Les vocalises, les traits, qui peuvent être spirituels, sont des élémens de musique pure. C’est à l’infini que la musique multiplie et précipite les sons. Elle crible en quelque sorte l’espace de