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étroits dans le passé, si l’ancien développement harmonique et égal de tous les hommes dans toutes les directions n’a pu se figer nulle part, s’il n’a pu subsister ni dans les petites cités helléniques, ni dans nos premières démocraties rurales, ni dans nos premières communes industrielles, comment imaginer leur reconstitution et surtout leur maintien et leur durée au milieu des agitations de notre monde économique et commercial, où la densité de la population, ce facteur essentiel du problème social, est chaque jour plus grande et où l’Europe à elle seule compte 375 millions d’habitans ? Une fortune publique colossale, des dépenses publiques croissantes, des services publics multiples, des contrastes inouïs, des mœurs publiques ayant perdu toute apparence de simplicité, tout cela nous mène aux antipodes des types communautaires. L’on ne comprendrait ni qu’un coup de baguette magique les fît soudain renaître, ni que l’humanité y retournât peu à peu d’elle-même, la propriété privée, écrasée sous le poids de ses fautes, disparaissant devant la propriété socialisée.

Nous voyons, au contraire, la société accentuer sa marche dans le sens- de la complexité, de la différenciation, de l’individualisation, de la hiérarchie. On aura beau faire, le socialisme intégral est un démenti à la nature humaine ; il aurait des résultats tout aussi funestes que l’individualisme absolu avec son cortège de passions égoïstes ; car il devrait combattre la variété des aptitudes, des besoins, des caractères ; il devrait sacrifier la liberté, la responsabilité, et exercer une contrainte d’autant plus rigoureuse que l’instinct de l’homme est plus incompressible.

Peut-on songer sans épouvante à la dose de despotisme nécessaire pour essayer d’entraver les tendances naturelles de l’homme, à la tyrannie intellectuelle indispensable pour donner à la société collectiviste une cohésion interne ? Quand on lit la République et les Lois de Platon, on est effrayé des mesures auxquelles il doit recourir pour restreindre les richesses, extirper les germes de l’inégalité, éteindre la fièvre du gain, tuer l’esprit d’entreprise. Platon légifère pour une petite communauté de 5 040 foyers, placée dans des conditions spéciales, et cependant il n’espère une certaine stabilité de régime qu’en étouffant la liberté intellectuelle comme la liberté économique, en soumettant la pensée au contrôle d’un comité de censure, en s’emparant de l’âme de l’enfant depuis l’âge de trois ans, en envahissant le foyer