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riches aux pays pauvres ; nous voyons que, relever un pays pauvre, c’est y faire naître la plus-value, lui donner une vie plus libre, plus intense, plus différenciée, affranchir les talens du joug de l’universelle médiocrité, favoriser l’épanouissement des œuvres de solidarité et de justice, et l’éclosion des lois sociales, d’autant moins réalisables que les ressources sont plus modestes. L’on objecte, enfin, que le capital et la plus-value engendrant sans interruption du capital et de la plus-value, l’accumulation et la concentration de l’argent dans quelques mains met à la disposition d’une minorité une part trop forte du revenu de la production totale. Dans certains cas, l’objection est fondée. Qu’on le remarque cependant, elle atteint non pas le principe de la production en régime capitaliste, mais son application en tant qu’il s’agit de la distribution du revenu. Il faut plus de justice dans la distribution du profit, mais on peut obtenir la justice sans réaliser l’idéal collectiviste et sans supprimer le capital, et l’on peut l’obtenir d’autant mieux que la prospérité est plus grande, et le capital plus abondant.

Bien plus ! Suffirait-il d’une société sans régime capitaliste pour garantir le bonheur social ? Platon et Aristote ont eu cette illusion, comme plus tard Morus et Campanella, et Cabet, et Marx, et Morris, et bien d’autres.

Or, que nous enseigne l’histoire ?

Le législateur Spartiate a fait ce qu’il a pu pour arrêter le cours naturel des événemens, pour supprimer le commerce, l’industrie, la monnaie, la concentration des fortunes, le luxe et les arts. Si légalité et l’absence de capital eussent été la condition du bonheur, Sparte eût été la cité idéale. Pourtant l’organisation spartiate n’a empêché ni la misère, ni la dépopulation, ni l’appauvrissement général, ni, déjà à l’époque d’Aristote, l’accaparement des biens par une centaine de privilégiés. Sparte avait rêvé le bien-être par l’égalité ; elle n’a eu ni l’un ni l’autre.

La République romaine à ses débuts, et la féodalité ont ignoré le régime capitaliste ; elles n’ont ignoré ni la servitude, ni les pauvres et les riches, ni les contrastes entre les petits et les grands.

Au XIXe siècle, le capitalisme naissant a connu et toléré d’effroyables souffrances ; mais, au début du XXe siècle, avec le capital accumulé à l’extrême, nous voyons la misère s’atténuer,