Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/195

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vient de tous, elle va indubitablement à tous. Ne parlons pas des grands industriels privilégiés dont les bénéfices sont excessifs. N’y a-t-il pas des chanteurs, des comédiens, des écrivains qui gagnent des sommes énormes pendant que les machinistes, les figurans, les écrivains déclassés végètent ? Les favoris du sort sont des exceptions ; seulement les grands industriels comme les grands chanteurs sont en vedette ; eux seuls sont connus et leurs noms frappent l’imagination. On ignore les autres ; ils sont légion. D’autre part, la plus-value ne s’obtient pas sans ruines individuelles frappant les chefs d’entreprises comme les travailleurs. On objecte, il est vrai, que quelque nombreuses que soient les faillites et les déchéances financières, le capital est toujours en profit ; c’est comme si l’on soutenait que quelque profondes que soient les crises économiques, le travail, comme tel, ne connaît pas le chômage, puisqu’il y a toujours des ouvriers qui ne chôment pas. Ce sont là des abstractions sans signification pratique.

La vérité, c’est que la création de la plus-value ne se fait pas sans grands risques, de toute nature, qu’elle comporte un mélange de chances favorables et défavorables. La vérité encore, c’est que la plus-value est en dernier ressort une chance favorable à toute la nation, un élément de la prospérité générale, salutaire non aux capitalistes et aux propriétaires seuls, mais à la totalité des citoyens. Un pays qui fournit de la plus-value est un pays riche, un pays qui n’en fournit pas est un pays pauvre. Et de même qu’une industrie prospère peut faire pour le bien-être de ses ouvriers des sacrifices dont une entreprise qui végète est incapable, de même un pays qui prospère peut faire, pour le bien-être de tous, des sacrifices qui ne sont pas permis aux autres. La plus-value sociale née du travail social rend possibles les grands travaux d’hygiène et d’utilité publique, l’assainissement des villes, la création d’hôpitaux, d’hospices, toutes les institutions de prévention, d’assistance, d’enseignement, le dégrèvement des objets de consommation, l’impôt sur le revenu, le développement des voies de communication, de la technique industrielle, etc.

Que cela ne se passe pas toujours ainsi, c’est une autre question. Pour nous, nous nous bornons à examiner en principe l’origine et la destination de la plus-value et les moyens de l’affecter au bien public. Nous comparons en principe les pays