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deux filateurs dont l’un perfectionne son outillage, dont l’autre reste rivé à la routine, le premier fournira une meilleure qualité de filés ; il en vendra plus, il l’emportera dans la lutte et sera mis ainsi à même d’améliorer la condition de ses ouvriers et d’augmenter leur salaire.

Je pense même que le capital constant, dans le sens admis par Marx, fournit un profit supérieur à celui du capital variable[1] ; supposez un industriel entouré de spécialistes compétens, dont les travaux lui permettent de suivre les progrès de la science et de la technique ; il améliore ses procédés et son outillage, il augmente sa force de production, il s’assure sa supériorité. Et non seulement son capital constant est créateur de plus-value, mais c’est lui, comme technique, qui fait les efforts supplémentaires, quand l’effort de l’ouvrier reste ce qu’il était ou est peut-être réduit.

Toute la dépense correspondant à de l’esprit d’invention, à du travail mental, à du progrès mécanique, est supportée par le capital constant.

Voyez l’Allemagne, le développement remarquable de ses industries, et l’avance acquise par elle sur l’Angleterre, notamment dans les entreprises où la chimie joue un rôle. A quoi doit-elle ses succès, sinon à ce capital constant qu’elle dépense sans marchander pour s’assurer la victoire et comment méconnaître que ce soient précisément les sacrifices consentis par le capital constant qui engendrent la plus-value ?

Ces sacrifices sont-ils faits au détriment des ouvriers ? Ici apparaît manifestement l’erreur du marxisme ; si la plus-value du capital avait sa source dans la prolongation non payée de la journée de travail, le prix de la prospérité économique actuelle serait l’augmentation croissante des heures de travail, la réduction croissante du salaire. On ne pourrait réduire la journée de travail et augmenter le taux des salaires sans atteindre le profit du capital. Nous sommes loin de là : depuis 1848, la journée de travail subit des réductions successives, les salaires suivent une marche ascendante, en même temps que le capital s’accumule et que la richesse publique grandit. Courtes journées de travail, hauts salaires, intensité de la production sont désormais des termes qui s’enchaînent ; et dans les pays où, comme en

  1. Marx évalue le capital aux 8/10 du capital engagé.