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y grimpaient « en lapins, » alourdissant encore la marche de la guimbarde. Quatre bidets menés en poste tiraient péniblement le branlant équipage : un monsieur d’importance le surveillait, un homme coiffé du chapeau militaire, — Mars et Bellone partout, en ces temps-là ! — le conducteur.

Donc, le lundi 4 prairial, à 6 heures du matin, la diligence des Messageries se mit en branle. Son conducteur était un nommé Desmazures, vieux chouan repenti, mais que la méfiante police surveillait avec soin. Le pauvre diable ne se doutait guère que, là-haut, sur l’impériale de sa voiture, certain panier tout habillé de paille allait lui mériter plusieurs mois de prison préventive. Quatre gendarmes, sabre au clair et mousqueton chargé, formaient escorte. La route était encore peu sûre, les voitures publiques y étaient souvent arrêtées ; même, quelques mois auparavant, dans un taillis du Perche, des « brigands, » beaux fils de famille, avaient dévalisé les voyageurs… Ces Messieurs travaillaient pour le « Roi. » Cette fois, pourtant, la diligence arriva sans encombre à Paris. Le jeudi, 7 prairial, — jour de l’Ascension, — elle franchissait, vers les six heures du soir, la barrière des Bons-Hommes, passait devant la Chaumière de Tallien, suivait l’Allée des Veuves, les Champs-Elysées, les rues de la Concorde, Saint-Honoré, Croix-des-Petits-Champs, Notre-Dame-des-Victoires, pour s’arrêter enfin près de la rue Joquelet, au quartier des Filles-Saint-Thomas.

Le lendemain, 8, au matin, un porteur de la Compagnie déposait chez le citoyen Rapatel, 9, rue de la Michodière, la gresle que lui adressait le joyeux sous-lieutenant. Le capitaine était déjà sorti ; mais son portier signa le registre, donna décharge et accepta « l’envoi du citoyen Jourdeuil… » Quelques momens plus tard, Auguste Rapatel rentrait chez lui.


Ce nom de Rapatel occupe une si large place en l’existence tourmentée de Moreau, il s’est acquis une telle notoriété aux heures de l’agonie du grand Empire, qu’il appartient, lui aussi, à l’histoire. On nous permettra donc de pénétrer des vies intimes et de révéler ici quelques faits ignorés. D’ailleurs, depuis 1802, tout un siècle a passé ; les hommes qui jouèrent alors un rôle dans la tragi-comédie humaine ont rendu leurs os à la terre, et l’historien ne ressent plus la crainte de se montrer indiscret. Non ! mais il a le devoir de pousser à fond son enquête, de connaître