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dans les sentiers de Cythère ne sont plus si attrayantes à suivre : laissons-les, et rejoignons-le dans son voyage en Angleterre.

Il s’était mis en route le 10 septembre 1792, et réussit à gagner Boulogne, où il rencontra M. de Talleyrand, fort inquiet de s’y voir retenu depuis deux jours par des vents contraires. Arrivé en Angleterre, il n’y eut que des mésaventures : il se cassa le bras, et il acheva de perdre « la forêt de cheveux qui couvrait sa tête dans sa jeunesse. » Le climat du pays ne lui allait pas, et il ne trouvait pas à Londres le nid paisible et doux que son cœur, toujours sensible, et l’âge qu’il avait atteint, lui faisaient désirer. Il songea que, plus heureux que les autres émigrés, il pouvait rentrer dans sa patrie. Il partit donc pour Zurich, où il fut si bien accueilli qu’il s’y établit définitivement, sans plus songer dès lors à quitter cette ville. Il n’avait pas encore cinquante ans, et n’était qu’au milieu de sa carrière.

À la considérer dans son ensemble, la vie littéraire de Meister se partage en deux moitiés : dans la première, c’est un étranger naturalisé à Paris ; dans la seconde, c’est un ex-Parisien qui vit paisiblement à l’écart, toujours attentif au mouvement intellectuel de la France.


II

Une fois établi dans sa retraite de Zurich, Meister s’empressa de reprendre le travail de la Correspondance littéraire, que les orages de la Révolution lui avaient fait interrompre. Mais, quoiqu’il fût encore quelquefois aidé par des collaborateurs parisiens, Suard entre autres, ses lettres, datées de Zurich, n’offraient plus le même intérêt que lorsqu’il était l’écho des salons où il entendait parler chaque jour des ouvrages dont il rendait compte ; les écrivains nouveaux qui entraient dans la renommée, il ne les connaissait plus personnellement. D’ailleurs, à cette époque troublée, les événemens politiques et militaires dominaient toutes les préoccupations ; le nombre des abonnés n’était plus le même. Quelques-uns cependant demeuraient fidèles, puisque Meister pouvait dire : « J’ai retrouvé dans ma patrie une modeste aisance, qui suffit à mes désirs. » Il poursuivit la rédaction de ses feuilles jusqu’en 1812.

Au temps de ses débuts, et pendant bien des années encore après, Meister s’était donné tout entier à cette publication ; il