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à Zurich, l’effet fut tout autre, quand, après quelques mois, le bruit se répandit de cette attaque contre la religion révélée. L’émoi fut très vif ; on s’indigna ; et Lavater, autrefois aimé et admiré de Meister, fut un de ceux qui soufflaient le feu.

Henri Meister dut quitter le canton de Zurich, pour aller se réfugier dans un bailliage voisin, pendant qu’on lui faisait son procès. Son père fit face à l’orage avec autant de fermeté que de tristesse. Il était quiétiste : quand on est placé à ce point de vue, on s’accommode aisément des idées les plus larges et les plus libres. Dans le synode, en face de ses collègues, il ne renia ni son fils ni sa foi. Mais ni le respect que ce vieillard inspirait, ni les démarches du jeune homme, qui publia, au mois d’avril 1769, une édition abrégée et édulcorée de son petit ouvrage, rien ne put empêcher une condamnation Le 21 juin, Henri Meister fut banni à perpétuité, son nom et ses armes furent effacés du tableau des citoyens, et son livre brûlé par le bourreau sur la place publique.

Il partit pour Paris. Son père alla lui dire un adieu qui pouvait être éternel. On lit dans son Journal : « 30 juin 1769. Embrassé tendrement mon fils, qui se porte assez bien, Dieu merci… Concerté le plan de sa vie à Paris, et de la conduite que j’aurai à tenir dans ma triste situation. Réflexions accablantes. » Écoutons maintenant Voltaire, qui écrivait à Moultou, quelques jours après : « Mon cher philosophe, notre Zurichois ira loin, Il marche à pas de géant dans la carrière de la raison et de la vertu. Il a mangé hardiment du fruit de l’arbre de la science, dont les sots ne veulent pas qu’on se nourrisse ; et il n’en mourra pas. Un temps viendra où sa brochure sera le catéchisme des honnêtes gens. » — Ce n’est pas sur ce ton de chef de parti que Rousseau parla à Meister, quand il reçut sa visite à Paris, l’année suivante : « Il me dit que je n’étais pas le seul malheureux, mais que j’avais eu grand tort d’écrire si jeune ; et que je devais me souvenir que, dans quelques années d’ici, je serais bien jeune encore. »

En revenant à Paris avec son élève, Meister retrouva chez Mme de Vermenoux une situation agréable, -une vie facile et du loisir. C’était un homme d’avenir : on le sentait autour de lui, il était apprécié. Dans le salon de Mme Necker, il voyait les beaux esprits et les écrivains de l’époque. Il songeait à écrire une histoire de la Réformation, dans l’idée qu’il pourrait par là, à la