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domestiques, avec mon père en latin ; et je m’applaudissais de la surprise que causait un savoir si précoce, aux étrangers qui venaient dans la maison… La langue française, dit-il plus loin, — nous copions ses notes autobiographiques, — était ma langue maternelle, et c’était encore celle que le goût de mon père et son exemple m’avaient engagé à cultiver de préférence. Je ne comprenais bien clairement que ce que je pouvais exprimer en français. Mais je croyais déjà m’être aperçu que, pour se faire écouter en allemand, il n’était pas indispensable de s’entendre parfaitement soi-même. »

Henri Meister parle de l’exemple que lui donnait son père ; celui-ci, en effet, tenait en français son Journal intime : la bibliothèque de Zurich possède cinquante-six volumes de ce journal (1726-1781). C’est en français qu’il a entretenu avec le professeur Necker, grand-père de Mme de Staël, une correspondance qui a été imprimée en 1740. La révocation de l’Edit de Nantes, en exilant quelques centaines de pasteurs français, qui devinrent à l’étranger autant de maîtres de langue, et en aboutissant à disperser dans mainte contrée de l’Allemagne des groupes de réfugiés français, avait contribué beaucoup à répandre l’usage de leur langue.

En 1758, aux approches de la soixantaine, le pasteur Meister était revenu s’établir au pays natal. Chargé de la paroisse de Kusnach, au bord du lac de Zurich, à deux lieues de la ville, il y passa les années de sa longue vieillesse. Son fils, qui avait commencé ses études à Erlangen, les poursuivit à Zurich. Un de ses maîtres fut le célèbre Bodmer, — « à la fois, dit-il, le Socrate de sa patrie et le patriarche de la littérature allemande, » — et disons aussi : un bon Suisse, qui déposa dans le cœur de son élève le germe de ce patriotisme qui se révéla plus tard, après les malheurs de l’invasion étrangère.

Henri Meister reçut les ordres sacrés le 26 avril 1763 : il n’avait pas encore dix-neuf ans accomplis. Si précoce qu’il eût été, il était bien jeune pour les fonctions du ministère évangélique. Aussi passa-t-il une année chez son père, continuant ses études, et s’exerçant à la prédication, en allemand et en français. Au printemps de 1764, il alla faire à Genève un séjour de quelques mois. Il y fit la connaissance de quelques hommes distingués : Abauzit, Charles Bonnet, de Saussure, le docteur Tronchin, les pasteurs Vernet et Vernes ; il y lia amitié avec