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retrouvé récemment par M. Monval[1] chez un étalagiste du quai Voltaire. Mais la copie sur laquelle avait été faite l’édition Brière avait, elle-même, été retravaillée par un certain Walferdin. Dans la notice qui accompagne l’édition Monval, M. Thoinan, comparant au manuscrit le texte qui a longtemps fait autorité, s’étonne qu’un texte tronqué, expurgé, rempli de fautes et de non-sens, ne résistant pas à un examen un peu attentif, ait fait illusion à tant de lecteurs et pendant plus de soixante ans ! Et c’est la même surprise qu’éprouve aujourd’hui M. Dupuy en soumettant à un examen critique le texte du Paradoxe.

On voit combien l’édition de Diderot donnée par Naigeon en 1798, celle donnée par Brière en 1821, le supplément donné par Paulin en 1830, paraissent justement suspects. Mais quelle confiance accordera l’édition Assézat, à laquelle nous nous en rapportons depuis vingt-cinq ans ? Or il faut bien dire que, dans la partie du moins qui a été établie par Assézat lui seul, elle est dépourvue de toute critique et ne fait le plus souvent que reproduire les éditions antérieures. Il suffirait, pour nous mettre en garde, de cet étonnant certificat de bonne foi octroyé dès la première page au plus fantaisiste des éditeurs : « On a parfois accusé Naigeon d’avoir altéré le texte dans l’intérêt de ses opinions philosophiques propres. Nous avons comparé avec le plus grand soin l’édition de Naigeon avec les éditions originales et avec les manuscrits. Et nous sommes sorti de ce travail de comparaison convaincu que Naigeon a été un éditeur consciencieux et honnête et qu’il n’a pas dépassé les limites qui lui étaient assignées dans le mandat qu’il tenait de Diderot lui-même. » De qui se moque-t-on ici ? Et pense-t-on que nous ayons oublié les déclarations sans ambages que Naigeon multiplie tout au long de ses Mémoires ? Au surplus, nous tenons aujourd’hui les preuves, et Naigeon est pris en flagrant délit d’interpolation. Pour le Neveu de Hameau, l’édition Assézat reproduit en grande partie le texte de l’édition Brière, reconnu fautif. Pour les Lettres de Mlle Volland, le texte n’en a pas même été collationné sur le manuscrit de Saint-Pétersbourg. Enfin M. Dupuy remarque ingénieusement que le texte du Salon de 1767 n’y occupe pas moins de quatre cents pages et semble démesurément long si on le compare à celui des autres Salons de Diderot. Naigeon, cet ancien élève de Van Loo et de Lemoyne, ne l’aurait-il pas enflé comme d’a fait pour le Paradoxe, et n’y aurait-il pas mêlé ses propres conceptions esthétiques,

  1. Le Neveu de Rameau, publié pour la première fois sur le manuscrit original par G. Monval et E. Thoinan (Pion, Bibl. elzévirienne).