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réalisant un type ou une variété du type spécifique. L’accroissement ne s’interrompt pas. L’individu cristallin peut atteindre d’assez grandes dimensions si l’on sait le nourrir — on pourrait dire, le gaver — convenablement. Le plus souvent, à un moment donné, une particule du cristal sert à son tour de noyau primitif et devient le point de départ d’un nouveau cristal enté sur le premier.

Retiré de son eau mère, mis dans l’impossibilité de se nourrir, le cristal, arrêté dans son accroissement, tombe dans un repos qui n’est pas sans analogie avec l’état de la graine ou de l’animal reviviscent. Il attend le retour des conditions favorables, le bain de matière soluble, pour reprendre son évolution.

A la vérité, il semble qu’il y ait une opposition complète entre le cristal et l’être vivant quant aux modes de leur nutrition et de leur accroissement. Pour celui-ci, c’est l’intussusception ; pour l’autre, c’est l’apposition. L’individu cristallin est tout en façade : sa masse est impénétrable aux matériaux nutritifs. La surface seule étant accessible, l’incorporation des particules semblables n’est possible que par juxtaposition extérieure et l’édifice ne s’accroît que parce qu’une nouvelle couche de pierres vient s’ajouter à la précédente. Au contraire, le corps de l’animal est une masse essentiellement pénétrable. Les élémens cellulaires qui le composent ont des formes plus ou moins arrondies et flexibles ; ils ne présentent ni la rigidité ni la rigueur d’ajustement des particules cristallines : les liquides et les gaz s’insinuent du dehors et circulent dans les interstices de cette construction lâche. L’assimilation se fait donc dans toute la profondeur et l’édifice grandit parce que chaque pierre grandit pour sa part.

L’exclusivisme apparent de ces procédés s’atténuerait sans doute si l’on comparait l’individu minéral simple à l’élément vivant, la particule cristalline à la masse cellulaire protoplasmique. Mais sans descendre à ce degré d’analyse, il est facile d’apercevoir que l’apposition et l’intussusception sont des mécanismes que les êtres vivans emploient simultanément et combinent suivant les nécessités. Les parties dures du squelette intérieur ou extérieur s’accroissent à la fois par interposition et par superposition ; c’est par ce dernier procédé que les os se développent en diamètre et que se forment les coquilles des mollusques, les écailles des reptiles et des poissons et les tests de