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pour image à l’être vivant un tourbillon, où la forme qui est essentielle, se maintient, tandis que la matière, qui est accessoire, s’écoule sans cesse : c’est le tourbillon vital de Cuvier. Mais à quoi est employée cette matière circulante ? Ils ont cru qu’elle servait tout entière à la reconstitution de la substance vivante continuellement et fatalement détruite par le minotaure vital. C’est là une erreur. La substance réellement vivante se détruit et se renouvelle peu ; en tout cas, infiniment moins que ne suppose l’image précédente du tourbillon vital. C’est le mérite des physiologistes et particulièrement de Pflüger de n’avoir pas cessé de le proclamer depuis près de quarante ans. Le protoplasme proprement dit ne se détruit que dans la mesure où se détruisent les organes d’une machine à vapeur, ses tubes, sa chaudière, son foyer, ses bielles. En fait de matière, un tel engin use beaucoup de charbon et peu de son outillage métallique. De même en est-il de la cellule, de la machine vivante. Une très petite portion des alimens introduits sera assimilée à la substance vivante : la plus grande partie, — et de beaucoup — est destinée à être élaborée par le protoplasma, à être mise en réserve sous forme de glycogène, d’albumine, de graisse, etc., — c’est-à-dire de composés qui ne sont pas la substance réellement vivante, le protoplasme héréditaire, mais les produits de son industrie, comme ils sont aussi ou pourront être ceux de l’industrie du chimiste travaillant dans son laboratoire. Leur sort est d’être dépensés pour fournir l’énergie nécessaire au fonctionnement vital, contraction musculaire, sécrétion, chaleur, etc., comme le charbon pour la marche de la machine à vapeur.

Il y a, en définitive, dans la nutrition de l’être vivant, de la cellule, deux actes distincts. L’un qui consiste dans la fabrication des réserves : c’est le plus apparent, mais le moins spécifique[1]. L’autre réellement essentiel, c’est l’assimilation proprement dite, la reconstitution du protoplasma. Le premier est la condition

  1. Il faut distinguer, dit Berthelot, « la formation des substances chimiques dont l’assemblage constitue les êtres organisés, et la formation des organes eux-mêmes. Ce dernier problème n’est point du domaine de la chimie. Jamais le chimiste ne prétendra former, dans son laboratoire, une feuille, un fruit, un muscle, un organe… Mais la chimie a le droit de prétendre à former les principes immédiats, c’est-à-dire les matériaux chimiques qui constituent les organes. » Et Claude Bernard, de même : « En un mot, le chimiste dans son laboratoire, et l’organisme vivant dans ses appareils, travaillent de même, mais chacun avec ses outils. Le chimiste pourra faire les produits de l’être vivant, mais il ne fera jamais ses outils, parce qu’ils sont le résultat même de la morphologie organique.