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avant sa dix-septième année, un romancier de talent. Sans avoir rien perdu de la simplicité de son âge, bonne autant qu’intelligente, elle écrivait d’une manière distinguée et déjà originale en quatre langues : je regrette que les lettres, les fragmens, les courtes nouvelles qui restent d’elle en français ne puissent témoigner ici de ce que j’avance. Ses impressions d’Italie montrent une curieuse indépendance de jugement, et d’un trait net, précis, quelquefois aiguisé de spirituelle malice, elle esquisse un personnage, nous le fait voir. La fièvre typhoïde la prit à Rome et l’enleva en quelques jours. Son père a réuni avec amour le petit héritage littéraire de celle qu’on appelait encore « Loulou » : imagination, histoire et critique. Cette délicieuse Julie de Gerschau avait la passion de Venise, qui lui rappelait, disait-elle, par un genre de charme indéfinissable où la majesté s’efface sous la grâce légère, son héroïne de prédilection, Marie Stuart. Elle vivait pour sa reine ; ses voyages, ses lectures, ses études, elle rapportait tout à Marie Stuart, devenue la figure centrale d’un roman historique qu’elle écrivit en anglais avec un enthousiasme passionné et sérieux, avec une savante recherche des particularités de mœurs et de langage. Elle-même confessait que cette ébauche, Quicksands (Sables mouvans), était l’un des grands intérêts de sa vie. Et l’œuvre resta inachevée comme la jeune vie elle-même, si courte, si riche cependant. Plus longue, elle n’eût peut-être apporté que déceptions à cette âme ardente et pure, qui attendait d’elle tant de nobles choses dont le monde est avare, en quelque pays que ce soit.

Des Instituts spéciaux sont ouverts aux jeunes filles de la noblesse dans toutes les villes principales. Il y en a huit à Saint-Pétersbourg, autant à Moscou et seize dans les différentes villes de Russie. Je suis conduite dans l’un des plus renommés, l’Institut Pavlowsky, par le général en retraite qui en est curateur. Il ne passerait pas le seuil de cet hôtel imposant, situé dans un très beau quartier où les édifices publics s’entremêlent aux jardins, sans revêtir un habit de cérémonie, frac à boutons d’or, au revers endiamanté de décorations.

Tout est pompeux dans l’aspect du grand vestibule, où une espèce de suisse, rouge et or, vous introduit.

La directrice est une personne de haute naissance et de grande allure, vêtue de violet avec une majestueuse austérité. Louis XIV l’eût mise à la tête de Saint-Cyr. Toutes les élèves