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douloureuse. Et le jeune garçon, sanglé dans l’uniforme militaire de l’école des cadets, est de même évidemment pénétré de la nécessité d’apprendre, comme on peut l’être d’un devoir inséparable du rang dont il a déjà la conscience très nette. Si jeune qu’il soit, c’est un petit homme, un petit prince, il en a les manières, la politesse, il sait baiser la main des femmes, répondre ou se taire à propos. A l’école, il ne rencontre que des camarades de son monde, et le dimanche, à l’église des Apanages, le frère et la sœur ont le sentiment de faire partie d’un cercle privilégié de fidèles. En même temps, il y a sous ce vernis un entrain exubérant qui éclate par intervalles. Explosions vite réprimées. Les enfants ne règnent pas en maîtres dans la famille, ils restent à leur place sans occuper d’eux, quoique leur développement soit l’objet d’une perpétuelle sollicitude.

Je cause avec un père de famille veuf et passant une grande partie de l’année dans ses terres. Il a pour ses enfans toute une maison, composée d’un médecin, d’un précepteur, d’une bonne allemande, d’une gouvernante française, d’une institutrice anglaise. Et il raconte drôlement les difficultés qui surgissent quand ces dames sont trop laides ou trop revêches au gré du précepteur ou du médecin, les ennuis d’une autre sorte dans le cas contraire. Ce sont ces Russes-là qui parlent toutes les langues et qui ont le caractère cosmopolite dont nous sommes frappés dans nos relations avec eux. Leurs études une fois achevées au milieu et par les soins d’étrangers, on les a envoyés à l’étranger encore, acquérir le dernier poli.

Que deviennent ces jeunes filles élevées avec tant de soin ?

Beaucoup d’entre elles, après avoir reçu dans toutes les capitales de l’Europe les leçons des plus fameux professeurs, et rapporté de ces mêmes capitales, pour en parer leur charmante personne, les chefs-d’œuvre des plus illustres couturiers, s’en tiennent à tout jamais au rôle d’ornemens de salon, de brillans papillons, les plus frivoles qui existent. D’autres conservent le goût des plaisirs de l’esprit. Quelques-unes y joignent la profondeur de la pensée. Mme Swelchine, la princesse de Liéven, et combien d’autres, en sont pour nous la preuve.

Je voudrais, bien qu’elle ne soit plus là, citer, comme type accompli de la jeune fille russe, une fleur exquise trop tôt fauchée, que j’ai connue et aimée, en qui commençait à poindre,