Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 11.djvu/861

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

je l’ai fait autrefois pour les Américaines. Chacun de nous a le devoir, il me semble, de se servir de son expérience et de ses observations, en laissant à d’autres, peut-être plus complètement informés, le droit d’agir de même dans un sens différent. Nos dramaturges et nos romanciers ont suffisamment mis en scène l’extravagante aux nerfs détraqués, la Sphinge froidement perverse, cette femme deux fois femme, parée de toutes les séductions et capable de tous les crimes, qu’ils font toujours, avec plus ou moins de raison, quand elle n’est pas Yankee, Slave ou Moscovite. Je me bornerai à esquisser les figures beaucoup moins extraordinaires, qui ont traversé mon chemin, tout en connaissant par ouï-dire les Dames aux Perles. Mais les portraits de celles-là ont été peints par des maîtres ; il n’y a pas à y revenir. L’altruiste persévérante qui renonce à tous les biens de ce monde pour se consacrer corps et âme aux classes déshéritées, existe aussi, je l’ai fait voir[1]. Et elle n’est pas unique, bien que les méthodes de celle-là soient à elle seule. Beaucoup d’autres s’efforcent à développer chez le paysan une habileté nouvelle dans les arts industriels nationaux, en organisant des comités à cet effet. Lors de notre Exposition de 1900, les noms de Mme Pavlov, de Mme Davilov étaient associés à de très intéressans ouvrages manuels. Tout récemment encore, une dame propriétaire du gouvernement d’Orel m’exposait les idées qu’elle a entrepris d’appliquer chez elle et de propager le plus possible pour le développement limité des prolétaires et des paysans, un développement graduel appliqué avant tout au métier. Idées assez semblables, dit-elle, à celles du grand éducateur nègre, Booker Washington.

Je continuerai à noter au hasard, à mesure que le souvenir m’en reviendra, mes rencontres avec des femmes de toute catégorie sociale, appartenant aux milieux les plus différens. Libre à mes lecteurs de tirer leurs propres conclusions, de collaborer ainsi avec moi en ce travail dont l’unique but est d’aider à une enquête générale sur la question actuelle du féminisme.

Peut-être ai-je poussé trop loin ma comparaison entre la femme russe et l’Américaine. Cette dernière possède un héritage anglo-saxon qui l’arme de principes très forts ; elle exerce sur elle-même un empire qui ferait croire à quelque froideur de tempérament ; elle est positive et raisonnable. La première est à la

  1. Œuvres de femmes. Voyez la Revue du 1er avril 1902.