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Et pourtant, une lourde et forte poigne eût été nécessaire pour mater l’indiscipline qui sévissait dans toutes les garnisons de l’Ouest. Insolens, querelleurs et pillards, le chasseur, le dragon et le fantassin y déshonoraient l’uniforme. Les abominations de la seconde Chouannerie, cette guérilla faite de ruses, d’embuscades, de tueries sans quartier, d’exécutions sommaires, avaient rapidement transformé les soldats en une soldatesque. Egorgés sans pitié, ils avaient massacré sans merci. Trop de menteuses légendes se débitent encore sur les sublimités de cette guerre sans grandeur, qui, sournoise, féroce, démoralisante, ne fut, de part et d’autre, qu’un simple banditisme. Blancs et bleus de l’an VIII, brigands ou bien patauds, — ils se valurent, de par l’ignominie de leurs exploits. Si, maintes fois, les « gris » d’un Georges Cadoudal s’amusèrent à chauffer et dépecer le patriote, les bleus d’un Brune ou d’un Bernadotte trouvèrent non moins plaisant d’éventrer, durant l’étape, leurs prisonniers. La volumineuse correspondance de l’Armée de l’Ouest est remplie de ces hideux détails, hauts faits ou joyeusetés de la guerre civile.

Mais, au moment où commence notre récit, l’insurrection de l’an VII semblait écrasée à jamais. Georges et ses camarades s’étaient enfuis à Londres ; le chouan remettait aux gendarmes sa carabine anglaise ; le closier, si longtemps égaillé sous les bois, remmanchait sa faux, et rentrait dans sa borderie ; les colonnes d’éclaireurs ne fouillaient plus la lande, et les demi-brigades venaient de regagner leurs garnisons. Elles y avaient rapporté une haine sauvage pour le noble et le curé bretons ; elles y ramenaient, aussi, leur misère et leur turbulence.

Cantonnés trop longtemps dans les hameaux des pays insurgés, répartis souvent par escouades en les ordures de quelque étable, les soldats étaient revenus couverts de pouilleuses guenilles. A la caserne ils avaient espéré obtenir une distribution d’effets neufs ; mais, rien ; les masses d’entretien étaient épuisées ; donc, ni capotes, ni chaussures. Aussi, la vue de tant de va-nu-pieds qui s’en allaient, riblant le pavé des villes, hâves et dépenaillés, provoquait partout la compassion ou la moquerie. « Bientôt, ma demi-brigade sera couverte de haillons, écrivait le chef de la 79e… Mes grenadiers n’ont plus de vêtemens. Ils me demandent des souliers que je suis dans l’impossibilité de leur fournir… Nos masses sont épuisées ; nous n’avons plus un sou, et nos braves