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mais, résigné ou bien stoïque, Simon n’avait sollicité aucun autre commandement. Il se disait malade, harassé par les fatigues de ses campagnes, brûlé par la fièvre, assoiffé de repos. Beaucoup trop pauvre pour habiter Paris, il avait loué, aux environs de Rennes, un modeste cottage, la Moinerie, où, dans l’attente de jours meilleurs, il vivait en ermite. L’excellent homme y avait installé sa jeune femme, une demoiselle Sophie Goulard, et leur fillette, délicate et maladive enfant. Là, ne voulant plus rien savoir du monde, ce philosophe, cet optimiste, cultivait son jardin !… Parfois cependant quelques amis, de chers compagnons d’armes, le chef de brigade Pinoteau, le commandant Müller, le vaguemestre Bertrand, — un autre poète, celui-là — venaient peupler sa solitude. Entre vieux camarades, le temps s’écoule rapide, et souvent, l’un de ces bons amis avait dû coucher au cottage. Que pouvait dire Simon, durant ces interminables entretiens ? Évidemment, des paroles de sagesse… Aussi, toute la garnison de Rennes admirait ce soldat laboureur, ce nouveau Dioclétien, ou plutôt, — car Dioclétien n’avait été qu’un vil tyran, — ce moderne Cincinnatus.

Ainsi, privée de ses deux chefs principaux, l’Armée de l’Ouest n’était plus, à présent, qu’une simple division. Un général de beau renom militaire, Henri Delaborde, la commandait. Mais, nouveau venu en Bretagne, n’ayant jamais bataillé dans la brousse, il ne partageait pas les haines féroces que ressentaient tant de fusilleurs de chouans. C’était, d’ailleurs, un vaillant homme de guerre, patriote de 92, un de ces glorieux porteurs des sabots légendaires, et qui, sous les ordres de Dugommier puis de Moreau, avait fait merveille contre le miquelet et le kaiserlick. Oui, mais ce jacobin rallié à Bonaparte, — il l’avait connu au siège de Toulon, — ignorait encore son métier d’administrateur : jaloux de son autorité, soupçonneux, tatillon, tracassier, ennuyant beaucoup trop les préfets. Et puis, quelque peu sectaire. Fils d’un boulanger de Dijon, ce Bourguignon, transplanté en Bretagne, tenait en une sainte horreur le prêtre et l’émigré. Or, le département d’Ille-et-Vilaine venait de recevoir pour préfet un ci-devant émigré : le citoyen Joseph Mounier, autrefois président de l’Assemblée constituante… Un émigré ! Et sur-le-champ, le vertueux Delaborde s’était mis sur ses gardes… Au surplus, malgré sa haine pour les « superstitions, » il n’avait pu gagner le cœur de sa méfiante armée.