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et une demi-brigade de vétérans. C’était donc, ramassé en quatre départemens de l’ancienne Bretagne, un corps de troupes d’environ 15 000 hommes, — importante fraction de cette Armée de l’Ouest qui naguère avait donné la chasse aux Chouans de Georges et aux « brigands » de Mercier-la-Vendée.

La paix d’Amiens la rendait inutile, car, abandonnés par l’Anglais, les gars de la brousse avaient désormais perdu la partie. Depuis un an, d’ailleurs, leur pays était à peu près pacifié. Aussi, un arrêté consulaire du 23 germinal (13 avril) avait-il décidé la suppression de cette armée. Sa mise au pied de paix ne devait s’effectuer qu’en prairial ; mais, de très bonne heure son état-major s’était dispersé. Le « général en chef, conseiller d’Etat, » Bernadotte, fort mécontent d’une semblable mesure, s’en était revenu à Paris, amenant avec lui tous ses officiers d’ordonnance. Là, dans son hôtel de la rue Cisalpine, au quartier du parc Mousseaux, il menait une vie luxueuse, faisait figure, et tenait des « assemblées. » Son brusque départ avait occasionné un certain désordre. Sans permission, plusieurs officiers de régimens étaient accourus à Paris ; ils y fréquentaient leur ancien chef, et promenaient leurs uniformes dans les salons où pérorait et gasconnait le général-conseiller d’Etat.

Un de ses chers amis, toutefois, n’avait pas accompagné Bernadotte : son ex-chef d’état-major, le général de brigade Edouard Simon… C’était un curieux personnage, ce Champenois, destructeur de chouanneries bretonnes ! Fils de l’un des grands hommes de cette époque, d’un certain Simon (de Troyes), helléniste, archéologue et poète, le général, lui aussi, courtisait la muse, mais en fabriquant de la prose. Bernadotte appréciait beaucoup ce littérateur galonné dont les ordres du jour avaient toute la saveur d’une « carmagnole » à la Barrère. Il le prisait non moins, pour son jacobinisme. Très amoureux de l’antiquité classique, admirateur passionné de la Grèce et de Rome, Edouard Simon passait pour un fervent républicain. Il était, en outre, franc-maçon, et timbrait son papier à lettres des deux mains et de l’équerre symboliques. Au reste, officier de mérite, ayant guerroyé sans relâche sur la Sambre et le Rhin, en Batavie et en Bretagne. Connaissant bien l’esprit de ses demi-brigades, il possédait la pleine confiance des colonels et des soldats : autant et plus que Bernadotte, il était populaire dans l’armée de l’Ouest.

La suppression de l’état-major l’avait privé de son emploi ;