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dégradation des piliers, enserré la nef par de hautes et tombantes tapisseries, organisé deux orchestres, l’un conduit par Méhul, l’autre par Cherubini. Des barrières séparaient les places réservées : les ministres, les conseillers d’Etat, les ambassadeurs faisant face à la chaire ; plus loin, les sénateurs, les députés, les tribuns — tout le pouvoir législatif ; les fonctionnaires et les magistrats se trouvaient relégués dans les collatéraux…

De bonne heure, l’église avait regorgé de monde. C’était tout un fouillis d’étoffes chatoyantes, — uniformes à broderies ou « costumes parés, » aux voyantes couleurs. Dans les hautes galeries, par les baies ogivales, s’allongeaient, curieuses, des têtes de femmes en toilette d’apparat : tailles courtes, robes collantes et à traîne, mousselines blanches ou bleues que garnissaient des satins écarlates, coiffures à l’Iphigénie, piquées d’or et d’argent ; çà et là quelques turbans à la Circassienne que surmontait la mobile aigrette, « un esprit ; » bref, tout le « Suprême bon ton, » la mode édictée par des citoyennes Bourgoin et Grassini, Hamelin et Récamier…

Devant le chœur, l’un des ambons — celui de droite — avait été réservé à l’épouse et à la mère du Premier Consul : un factionnaire en défendait l’approche… Or, peu de temps avant midi, deux femmes se présentaient à cette entrée, et parlementaient avec la sentinelle : « On ne passe pas ! — Je suis la générale Moreau. » À ce nom, le soldat s’était écarté, livrant aussitôt passage. Deux fauteuils avaient été préparés dans la tribune ; l’une et l’autre s’y étaient installées. D’en bas, on les lorgnait… Elles étaient bien connues de tout ce monde officiel : — celle-ci, Mme Hulot, une citoyenne politiquante, tenant petite chapelle d’opposition, hostile à Bonaparte, le brocardant sans trêve ; celle-là, sa fille, la vaporeuse Alexandrine-Eugénie, mariée depuis dix-huit mois au général Moreau : une femme « sensible, » élève du chanteur Elleviou, sachant roucouler la romance plaintive, pincer de la harpe, et danser la gavotte de Gardel avec la grâce mignarde d’une Bigottini… Cependant, précédées par les préfets du Palais, les dames Bonaparte, Mme Letizia et sa bru, venaient d’arriver. A la vue des intruses, Joséphine s’arrêta, saisie… Cette Périne Hulot ! Elle la détestait et elle en avait peur ; une créole comme elle, comme elle une « merveilleuse » aux jours du Directoire ; l’amie d’autrefois, l’ennemie d’à présent ; jalouse, hargneuse, médisante, et qui souvent l’avait tant fait pleurer !… Mais