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découvrait, chaque jour, tant de complots !… Au tournant du Pont-Neuf, les chevaux de l’attelage se cabrèrent : nouveau retard ; devant l’Hôtel-Dieu, ce fut pis encore : rompant le cordon des troupes, la foule se rua vers la voiture… Enfin le carrosse des consuls s’arrêta devant le porche de Notre-Dame. Dans l’église on attendait depuis une heure, et de scandaleux désordres venaient de s’y produire.


Huit ans à peine s’étaient écoutés depuis ce décadi mémorable de brumaire an II où, dans Notre-Dame, la citoyenne Aubry, danseuse à l’Opéra et déifiée déesse Raison, en tunique blanche, péplum d’azur et bonnet rouge, escortée de vierges, tricolores comme elle et de pareille virginité, avait allumé la « torche-Lumière » au « flambeau-Vérité » qui brûlait dans le « temple-Philosophie, » juché lui-même sur la « Montagne ; » le tout, du reste, en carton peint. La sublime pitrerie n’avait duré que fort peu de temps, — le temps que duraient alors quelques coups de guillotine. Mais d’autres mascarades lui avaient succédé. Sous le Directoire, les Théophilanthropes — la secte des filous en troupes — avaient occupé la cathédrale. Là, d’amusans bonshommes, aux frisures flottantes, avaient chanté des hymnes au Dieu de la Nature ; célébré la Jeunesse, l’Hymen et la Fécondité, la Famille, la Vieillesse et la Paix, bref du Jean-Jacques, mis au point par Mandar. D’inoffensifs benêts ; mais brutal, Bonaparte les avait expulsés, car il abominait les sornettes de leur « métaphysique. » Si longtemps « déprêtrisée, » l’église était demeurée dans un état pitoyable. Décapitées les statues couronnées décorant la façade ; brisée à coups de sabres marseillais, l’effigie du tyran Valois ; mutilées les icônes ; jetée à la fonte patriotique, la châsse de saint Marcel, la croix, le candélabre d’argent, cadeaux d’une aïeule de Capet ! Et le trésor, ses calices, ses ostensoirs, ses reliquaires ! Gobel, le mitré constitutionnel, en avait fait litière au peuple souverain… Aussi, cette officielle solennité de Pâques, la messe et le Te Deum devaient être pour Notre-Dame une purification. Chaptal, ministre de l’Intérieur, avait reçu la tâche d’organiser la cérémonie religieuse, et il s’était adjoint l’abbé Bernier, nommé depuis une semaine évêque d’Orléans. Hâtivement on avait façonné un autel, apporté pour sa parure un Christ et des chandeliers provenant du trésor d’Arras, masqué par des tentures la