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d’Italie à la fois sont bien lourdes. Adieu, cher monsieur, veuillez agréer l’expression de tous mes sentimens dévoués.


Château de Compiègne, 23 novembre 1858.

Cher Monsieur,

On me garde ici jusqu’à la fin de la campagne, c’est-à-dire jusqu’aux premiers jours de décembre. Serez-vous encore à Trye[1] ?

J’ai lu avec beaucoup d’attention votre mémoire[2]. Malheureusement, il faut être trop savant pour oser le juger. Il me semble que vos explications ont un grand caractère de vérité. Je me suis rappelé que dans l’écriture archaïque des Grecs l’alpha, le delta, le rho, le lambda et le gamma sont faits à peu près de même ; que, dans les caractères d’impression russes en usage il y a moins de vingt ans, il fallait avoir des yeux de lynx pour distinguer le III T, du III CH, etc. Toutefois les lettres grecques et russes, qui n’admettent qu’un très petit nombre de traits expliquent mieux cette confusion que les caractères cunéiformes, dont les combinaisons sont variées à l’infini. Il est vrai que c’est fort tard qu’on s’est avisé d’être clair, et on n’y est pas encore parvenu. J’ai été très frappé de ce que vous dites de l’écriture coufique, laquelle aurait été un progrès, bien que pour un ignorant comme moi toutes les lettres se ressemblent. Si c’est un perfectionnement, quel grimoire que l’écriture primitive ! Je n’ai rien à répondre à ce que vous dites sur la persistance des langues dans les populations asservies, mais non exterminées. Qui pourrait croire qu’il existe encore en France tant de langues et de dialectes ? Je vous ai fait, monsieur, ma seule objection que vous détruirez sans doute. L’écriture grecque a deux élémens, le trait et une ligne courbe : avec un fond si pauvre on conçoit qu’un lapicide qui a un mauvais outil, trace un P et un A à peu près de la même façon, A A, mais lorsqu’on a la permission de tracer jusqu’à neuf traits, chacun dans trois positions pour former une lettre, pourquoi se donne-t-on tant de licence ? surtout lorsqu’on a l’art de sculpter ces clous avec tant de finesse et même d’élégance. C’est pour ne pas manquer à mes devoirs d’académicien que je me montre si entêté…

  1. En Beauvoisis, où se trouvait le château de M. de Gobineau.
  2. Lecture des textes cunéiformes.