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quoi il était impossible de tirer le moindre parti de ses planches. Cela m’a paru une défaite polie et orientale.

Je viens de passer quinze jours dans les Highlands à disputer ma peau aux « midges » qui sont des insectes microscopiques, mais venimeux comme des vipères. Il n’y a presque pas de grouse cette année. Il fait un temps de chien. Tous les lapins en sont morts, les cerfs ne vont pas très bien ; nous en avons mangé deux pourtant très gras. Voilà les nouvelles de l’Invernesshire.

Quant au reste de l’empire britannique, on y est toujours belliqueux en diable, et on ne voit que volontaires. Il n’y a pas une boutique où l’on ne voie le portrait de M. Henri Rays qui a gagné le prix de tir, et il est aussi commun de rencontrer des figures paisibles, en gris ou en vert, tenant des fusils que cela l’était chez nous en 1848. Il me semble impossible que ce volunteer movement, comme on l’appelle ici, n’amène quelque chose de nouveau. Ce n’est pas notre garde nationale, en ce que personne n’est tenu d’en faire partie, mais cela est composé aussi démocratiquement que chez nous dans le bon temps. La grande masse des volontaires s’est recrutée parmi les commis de magasin. Je parle des villes. Dans les campagnes, les grands seigneurs ont habillé leurs tenans et formé des compagnies, voire des régimens, dont ils ont été nommés commandans, comme de juste. Le marquis de Bradalbane a défilé à Edimbourg devant la reine à la tête de 500 hommes sans culottes, qu’il avait enfermés la veille avec de la petite bière pour toute boisson, de peur qu’ils ne fussent pas solides, s’il leur eût laissé la clef des champs. Lord Elcho et autres bonnes têtes poussent à armer les ouvriers. Dans les grandes villes manufacturières, il y en a déjà un certain nombre. Vous savez que l’usage d’une arme à feu avait toujours été un mystère pour le populaire anglais. J’attends quelque chose de drôle de la révélation de ce mystère. Les vivres seront très chers cet hiver et on verra. Ou les volontaires obéiront au sentiment aristocratique si puissant chez les Anglais, et alors ils seront fort utiles ; ou bien ils se serviront du rifle comme M. Prudhomme de son sabre qu’il lirait pour défendre nos institutions ou les renverser. En somme, cela produira quelque chose, mais cela n’est point dangereux pour nous. Il me semble que vous êtes en train de guérir les jambes cassées du grand Turc avec du taffetas d’Angleterre. Cette affaire d’Orient et celle