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l’armistice, la ville de Beauvais reconnaissante lui vota des remerciemens publics.

En relatant les principaux événemens de cette vie si noblement remplie, je n’ai point mentionné nombre d’autres œuvres du comte de Gobineau telles que la Renaissance, Scènes historiques (Paris, 1877). Ce tableau grandiose de toute une époque de l’humanité, d’une pénétration merveilleuse, qu’on a appelé avec justesse une épopée en forme de drame, et qui réunit les qualités de l’historien et du philosophe avec celles du poète et de l’artiste ; l’Aphroïssa (Recueil de poésies), l’Abbaye de Typhaines, le roman les Pléiades, etc. Plusieurs de ces ouvrages sont cités dans les lettres de Mérimée, bien que celui-ci n’ait malheureusement pas vécu assez longtemps pour voir l’expansion entière du puissant génie de son ami, dont pourtant il admirait déjà assez l’étonnante diversité, cette étendue d’esprit et de connaissances qui l’a mis à même de créer des œuvres d’une rare valeur dans les domaines les plus différens.

On serait en effet tenté quelquefois, comme l’a écrit à deux reprises Mérimée lui-même, de lui attribuer plusieurs natures, plusieurs individualités, plusieurs nationalités, quand on le voit d’un côté historien et poète profondément tragique, impitoyablement pessimiste, et de l’autre romancier et nouvelliste, humoriste et causeur, touriste et « épistolier » des plus joyeux et des plus spirituels. Et pourtant, en y regardant de près, on retrouvera l’unité des qualités, en apparence si disparates, au fond même de la personnalité de notre auteur, qui, tout en se rappelant, à chaque moment de sa vie, la lourde gravité de sa tâche, n’oublie pas non plus, surtout quand il parle en poète et en artiste, qu’on l’accomplit plus facilement par un chemin qui ouvre des vues sereines et ravissantes, offrant des récréations au cœur et des amusemens à l’esprit. C’est ce qui lui donne, à côté de la grandeur des vues, de la verve de conviction et d’expression qui lui est propre comme qualité fondamentale, ce quelque chose d’éternellement jeune, cette fraîcheur inépuisable, cette gaieté et cette aménité qui ne font pas le moindre de ses charmes.

Presque toujours absent de sa patrie à cause des obligations de sa carrière diplomatique, s’étant écarté par ses vues politiques et sociales et surtout par l’idée mère de son grand livre sur les races, qui a fondé sa gloire à l’étranger, des idées en faveur dans la France actuelle, c’est-à-dire des idées démocratiques et égalitaires, M. de Gobineau y était tombé dans un oubli presque complot, au moment même où il allait faire son entrée triomphale en Allemagne.