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Le rapprochement entre ces deux discours, celui du prince italien et celui du ministre français, augmente encore l’impression pénible que le dernier nous a causée. On se demande par quelle aberration d’esprit M. Pelletan a pu le prononcer. Ce qui est sûr, c’est que ce n’est pas lui qui pourrait l’expliquer. Il a dit cela comme il aurait dit autre chose, et par exemple tout le contraire, sans d’ailleurs penser à mal, et rien n’a égalé sa surprise lorsqu’il a appris que ses paroles avaient pu produire un mauvais effet. — Lui, avoir voulu menacer l’Italie ? C’était lui faire injure, car personne n’en était moins capable. Il a toujours aimé l’Italie et a constamment recherché son amitié. Il a été élevé dans ces sentimens, et y est resté fidèle à travers tous les accidens de la vie. Nul ne s’est réjoui davantage du rapprochement qui s’est opéré entre les deux pays, et l’idée d’un conflit entre eux lui ferait horreur. — Nous lui rendons le témoignage que tout cela est parfaitement vrai et sincère de sa part : mais combien il aurait mieux fait de le dire à Ajaccio, que d’y prononcer le discours dont nous avons reproduit le passage le plus saillant ! Il l’aurait fait, mon Dieu ! si le hasard de l’improvisation l’avait voulu. C’est son malheur de ne pas savoir ce qu’il dira quand il ouvre la bouche pour parler. Il a cru sans, doute que, vieux loup de mer comme il se sentait l’être, et ministre de la défense nationale, il devait parler en technicien militaire et en homme de métier. Il s’est posé des hypothèses, et a montré comment il saurait les résoudre au besoin. Ce n’est pas sa faute si l’Italie est près de la Corse, mais celle de la géographie, et un homme de guerre doit envisager, par simple amour de l’art, toutes les éventualités possibles, ce qui ne veut pas dire qu’il s’attende à toutes celles qu’il envisage, ni surtout qu’il les souhaite. Sont-ce là pour M. Pelletan des circonstances atténuantes ? Non. Il y a des choses auxquelles un ministre peut penser, mais qu’il ne doit pas dire, parce qu’en les disant mal à propos, il semble leur donner en quelque sorte une réalité actuelle. Un journaliste a plus de liberté ; mais un ministre doit choisir entre les pensées qu’il exprime, et exprimer seulement celles qui sont, à un moment donné, conformes et utiles à la politique du gouvernement dont il fait partie.

Et M. Pelletan ne s’en est pas tenu là. D’Ajaccio il est allé à Bizerte, et à Bizerte il a recommencé. Continuant de promener sur la Méditerranée un coup d’œil auquel rien n’échappe, et après avoir parlé de Bizerte comme d’une nouvelle Carthage qui aurait la grandeur de l’ancienne sans en avoir « les vices et la férocité » : « Avec cet abri puissant, s’est-il écrié, si bien placé également pour l’attaque, avec