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et modernes, de projets et d’espérances, d’images et parfois de fantômes devaient immanquablement envahir son imagination et mettre son éloquence en branle, car il est à la fois instruit et artiste : il ne lui manque que le jugement. M. Combes a pensé peut-être que les voyages étaient une bonne école ; ou peut-être n’a-t-il vu qu’un avantage dans celui qu’allait faire M. Pelletan, c’est de l’éloigner pour quelques jours de Paris. M. Pelletan est donc parti de Marseille et arrivé à Ajaccio au milieu des salves d’artillerie, qui ont sans doute commencé à le griser. Puis, on lui a fait voir beaucoup de choses très propres à l’éblouir. Enfin, il y a eu un banquet. Un banquet ne peut se terminer que par des discours ; et c’est alors que l’épreuve est devenue trop forte pour notre ministre. Parlant de la Corse avec un enthousiasme d’ailleurs légitime : « L’île possède, a-t-il dit, cette admirable rade d’Ajaccio où peuvent mouiller des flottes de guerre et sa côte orientale vise l’Italie en plein cœur. On pouvait croire l’ère des guerres terminée, mais on constate un retour dans les peuples à la force brutale. » Ces phrases guerrières de M. Pelletan ont fait l’effet de pois fulminans sur lesquels on marcherait dans un salon : tout le monde s’est retourné en sursaut. Où donc M. Pelletan a-t-il vu un retour dans les peuples à la force brutale ? En tout cas, ce ne peut pas être en Italie. Si l’Italie a eu autrefois, et pendant quelque temps, des allures inquiétantes à notre égard, non seulement il n’en est plus de même aujourd’hui, mais il en est tout autrement. Il y avait eu des malentendus entre l’Italie et la France. Peu importe de savoir d’où ils étaient venus, et qui les avait fait naître et habilement entretenus : les nuages sont aujourd’hui complètement dissipés. Les deux peuples se sont rappelé qu’ils étaient de même race et que, dans le cours des siècles, ils avaient bien souvent mêlé leur sang pour les mêmes causes. Au moment même où M. Pelletan prononçait à Ajaccio son discours inopiné, un prince italien, le comte de Turin, faisant manœuvrer son régiment dans la plaine de Solférino, dirigeait ses cavaliers vers l’Ossuaire où sont rassemblés les restes des soldats italiens et français morts là, il y a quarante trois ans, dans une touchante confraternité d’armes. « Les Français, disait-il, avaient perdu 2 généraux, 7 colonels, 200 officiers, 6 500 soldats. C’est à la mémoire de ces braves que fut élevé cet Ossuaire. La reconnaissance nationale a voulu assurer à leurs cendres un asile qui fût digne d’elles. Que leur valeur deux fois admirable, puisqu’en se manifestant elle servit notre cause, demeure éternellement gravée en nos âmes unanimement reconnaissantes. Honneur à eux ! »