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privé. Gibraltar, Malte, ont ainsi d’énormes dépôts de charbon toujours frais. Il n’en est pas de même à Bizerte, que ne fréquentent pas les navires marchands ; l’Etat français ne peut compter que sur lui-même pour fournir à son port et à son arsenal, dans les conditions les plus onéreuses, tout le combustible dont ils ont besoin, et pour le renouveler.

La Tunisie est prospère, ses cultures florissantes, ses mines riches. Si donc Bizerte manque de fret de retour, c’est parce qu’elle n’a pas de chemins de fer qui lui amènent les produits de la Régence. Une seule ligne la relie à Tunis, qui, elle aussi, est un port. Bizerte réclame depuis longtemps, et avec plus d’insistance encore depuis qu’on la dotée d’un arsenal, une voie ferrée nouvelle, dont elle serait le « terminus » et qui apporterait à son port les élémens d’un trafic suffisant. Nous touchons ici à la question des chemins de fer tunisiens qui, depuis deux ans, passionne la colonie, qui a nécessité enquêtes sur enquêtes, provoqué un débat devant la Chambre des députés, suscité une foule de brochures et d’innombrables articles de journaux. La lutte est ardente entre Tunis et Bizerte ; et il n’est pas jusqu’à Sousse qui ne prenne part à la bataille. Chacun des trois ports cherche à attirer à lui les phosphates de la région de Kalaat-es-Senam, et chacun vante les avantages d’un tracé différent. Tunis réclame le prolongement, jusqu’à Kalaat-es-Senam, avec embranchement sur le Kef, de la ligne à voie étroite, qui atteint déjà le Pont-du-Fahs, et elle allègue les intérêts de la colonisation, que la ligne favoriserait en desservant une région riche et fertile. Sousse demande que la ligne de Kairouan soit continuée jusqu’à Sbiba, où d’autres gisemens de phosphates ont été récemment « prospectés. » Bizerte, enfin, invoquant les nécessités supérieures de la défense nationale, préconise une ligne qui, de Mateur, rejoindrait Béja, et de là, en utilisant, jusqu’à Souk-el-Kremis, la grande ligne de la Medjerda, remonterait, au sud, sur Kalaat-es-Senam ; les phosphates pourraient ainsi choisir leur route et se diriger soit vers Je port de Tunis, soit vers celui de Bizerte, auquel ils fourniraient le « fret de retour » tant cherché. L’examen de ces divers projets et des discussions qu’ils ont soulevées serait curieux, parce qu’il nous ferait pénétrer dans les petites intrigues dans les querelles locales qui divisent la colonie ; mais il nous entraînerait trop loin de Bizerte. D’ailleurs, le litige est aujourd’hui tranché ; le Parlement français a adopté le projet d’emprunt