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La scène de la Taverne était mise en vers. Certaines trivialités disparaissaient de l’entretien entre Méphistophélès et l’Écolier. Quelques-unes des dernières scènes, encore en prose, ou mal reliées à l’ensemble, étaient supprimées. Le reste était donné comme un fragment, et s’arrêtait après la scène de la Cathédrale. Le Faust primitif était châtié, épuré, mais découronné ; la conclusion manquait.

Elle manquait parce que le poète, s’il avait dû la donner à ce moment-là, l’aurait sans doute donnée toute différente. Il aima mieux abandonner un sujet auquel ne l’attachait plus aucun intérêt direct. Le temps du titanisme était passé chez lui, et il est probable qu’en livrant le Faust au public comme un fragment, il n’avait pas plus l’intention d’y revenir qu’il ne revint au Prométhée, au Juif errant, au Mahomet. Il fallut, pour l’y ramener, l’intervention d’un poète qui avait eu, lui aussi, sa période orageuse, mais qui n’en était pas encore séparé par un aussi long intervalle. En 1794, Schiller avait obtenu la collaboration de Gœthe pour une revue qu’il voulait fonder, les Heures ; ce fut le commencement de cette union qui fut si féconde pour l’un comme pour l’autre. Le 29 novembre de la même année, Schiller écrit à Gœthe que ce serait pour lui une satisfaction des plus vives de pouvoir lire les fragmens encore inédits du poème de Faust, dont il admire la conception puissante, et qu’il compare au torse d’Hercule. Gœthe lui répond : « Je ne puis en ce moment rien vous communiquer de Faust ; je n’ose ouvrir le paquet qui le tient captif. Je ne pourrais copier sans remanier, ce dont je ne me sens pas le courage. » Schiller insiste, et, au mois d’août de l’année suivante, Gœthe promet « quelque chose de Faust » pour les Heures ; mais il ajoute : « Mon Faust est comme une poudre qui a été dissoute dans l’eau et qui se dépose au fond du vase. Tout paraît remonter et se rejoindre, aussi longtemps que vous secouez le vase ; mais à peine suis-je réduit à moi-même que tout retombe au fond. »

La disposition d’esprit nécessaire pour s’identifier avec le vieux monde légendaire manquait encore. Elle se retrouva lorsqu’en 1797 les deux poètes s’associèrent pour la composition d’un certain nombre de ballades destinées à l’Almanach des Muses. Leurs études communes, la recherche et la discussion des sujets ramenèrent Gœthe, comme il le dit, sur « les routes nébuleuses » où il s’était complu dans sa jeunesse. Faust lui