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recourir au néant comme à son dernier refuge. Il a toujours près de lui son bon ange d’un côté, et son mauvais ange de l’autre, qui apparaissent presque à chaque scène ; il se décide ordinairement pour le dernier, mais plutôt par lassitude que par conviction. Son âme est une hôtellerie mal tenue, où ses folles passions se démènent. Il n’aurait pas besoin de se donner au démon ; il pourrait s’appliquer à lui-même ces paroles que prononce une fois Méphistophélès : « Je porte l’enfer en moi ; l’enfer est où je suis. » Le drame s’ouvre par un monologue, qui se retrouvera dans les pièces populaires allemandes, et auquel Gœthe donnera de magnifiques développemens. Faust passe en revue les sciences qui avaient cours dans les écoles, la logique, la jurisprudence, la théologie. Celle-ci lui semblerait encore la meilleure, si elle ne manquait son objet. Il ouvre une Bible, et il lit : « Le salaire du péché est la mort. Si nous disons que nous n’avons point péché, nous nous mentons à nous-mêmes. » — « Mais alors, continue-t-il, nous sommes condamnés à mourir d’une mort éternelle. Théologie, adieu ! La magie, voilà ce qui enflamme les désirs de Faust ! Quel monde de richesses et de délices, de pouvoir et d’honneurs est promis ici à l’artisan studieux ! Tout ce qui se meut entre les pôles immobiles sera à mes ordres. Empereurs et rois ne sont obéis que dans les limites de leurs domaines ; ils ne peuvent ni soulever les vents, ni déchirer les nuages ; mais l’empire de celui qui excelle en cet art s’étend aussi loin que l’esprit de l’homme. Un magicien profond est un dieu tout-puissant. » Et, après que le mauvais ange lui a dit qu’il sera sur la terre ce que Jupiter est au ciel, il énumère tout ce qu’il demandera aux esprits : « Je les ferai voler dans l’Inde pour me chercher de l’or, sonder l’Océan pour en retirer la perle d’Orient, fouiller les recoins du Nouveau Monde pour me procurer des fruits savoureux et des friandises princières. Ils me révéleront les mystères de la philosophie ; ils me diront les secrets de tous les rois étrangers. Ils élèveront, si je le veux, un mur d’airain autour de l’Allemagne, et du Rhin rapide ils feront une ceinture à la belle ville de Wittemberg. » Il veut que Méphistophélès lui donne un livre où il trouvera toutes les incantations pour évoquer les esprits, un autre, au moyen duquel il pourra suivre tous les mouvemens des corps célestes, un autre encore, qui lui fera connaître toutes les plantes qui ornent la surface de la terre. Tout cela vaut bien le prix d’une