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Avant de pénétrer dans le grand lac, nous sommes encore arrêtés par le barrage des pêcheries, dont il faut franchir la porte. Deux pointes qui, d’une rive à l’autre, se font vis-à-vis et dont l’une se prolonge par des hauts fonds, ont permis à la Compagnie du Port, concessionnaire de la pêche, d’établir là un barrage ; des pieux métalliques sont solidement fichés les uns à côté des autres, tandis qu’un treillage mobile, en fil de fer, ferme les intervalles et arrête les poissons. Au milieu du goulet, sur un espace de 50 mètres, le barrage est remplacé par des filets qui s’élèvent et s’abaissent, au moyen d’un treuil, quand un bateau se présente pour franchir le seuil. C’est dans cet appareil très simple que viennent se faire prendre par milliers, par bancs entiers, les dorades, les mulets, les rougets, les bars, les soles et tous les innombrables poissons qui, dans leurs pérégrinations à travers la Méditerranée, viennent, chaque année, poussés par un instinct séculaire, séjourner dans l’immense lac. A certaines époques, absolument fixes et connues d’avance, les filets sont levés et laissent entrer les bataillons serrés des migrateurs, et, plus tard, quand ils tentent de ressortir, ils tombent dans les mailles qui les capturent. La Compagnie du Port en livre à la consommation, par an, une moyenne de plus de 500 000 kilogrammes, dont 100 000 environ sont exportés en France, soit conservés frais dans la glace, soit salés ou fumés dans une usine spéciale installée à Bizerte.

Derrière notre bateau, le filet des pêcheries s’est relevé, nous contournons la pointe Shara et, tout à coup, au détour du dernier promontoire, c’est une mer qui s’ouvre devant nous, c’est le lac de Bizerte. A peine aperçoit-on les rives lointaines du magnifique bassin ; et, sur presque toute cette étendue, les fonds, variant de neuf à douze mètres, sont suffisans pour les plus grands bateaux ! Encore sept kilomètres, et nous arrivons à la pointe d’El-Caïd et à l’anse de Sidi-Abdallah ; nous sommes à l’arsenal. Ici, il y a seulement quatre ans, dans la grande plaine qui s’étend autour du marabout de Sidi-Saïd et sur les pentes, coupées de haies de cactus et plantées d’oliviers, du mamelon de Sidi-Yaya, l’on n’apercevait ni une maison, ni une cabane, rien qu’un marabout et quelques pans de mur d’une ancienne villa romaine. Aujourd’hui les deux jetées d’un port s’avancent dans le lac, des bâtisses en construction dressent vers le ciel leurs échafaudages, plus de mille ouvriers travaillent sans relâche, un chemin