Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 11.djvu/62

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

haute dune, commande le golfe. Sur ces coteaux où, il y a quelques années, l’on n’eût rencontré que de rares indigènes, occupés à la récolte de leurs fruits ou surveillant leur bétail, un camp apparaît, tout à coup, parmi les oliviers taillés en boule ; un tirailleur monte la garde à l’entrée et, tout autour, au milieu des arbres clairsemés, des lignes blanches de turcos, en tenue d’exercice, manœuvrent sous la surveillance d’officiers bleus. De l’autre côté du canal, un camp semblable se cache sur les pentes des collines qui dominent la ville et, sur les hauteurs, des terres remuées décèlent la présence de tout un ensemble de fortifications. Au sommet, le Djebel-Kebir, centre et réduit de la défense du camp retranché, domine le canal et le chemin de fer ; au-dessous de lui, les batteries du Djebel-Labiod et du Djebel-Zebla, le fort du Djebel-Demma, étagent leurs feux, et, plus près de la mer, la redoute du Djebilet-Rara commande les abords de la plage. Outre ces ouvrages anciens, on aperçoit des batteries nouvelles déjà achevées ou seulement ébauchées ; les unes renforceront le front, déjà si imposant, que Bizerte présente du côté de la Méditerranée ; d’autres surveilleront les approches de la ville, du lac et de l’arsenal. Bizerte, avec son lac, doit devenir un immense camp retranché, inattaquable du côté de la mer comme du côté de la terre.

Embarqués sur une chaloupe à vapeur, nous faisons maintenant la visite du lac. C’est sur ses bords, au fond des anses profondes de la rive occidentale, que s’échelonnent tous les établissemens maritimes qui feront, dans peu d’années, de Bizerte, l’un de nos premiers ports militaires. Du canal, nous débouchons dans une rade naturelle : elle se prolonge d’un côté par un large couloir qui va rejoindre le grand lac ; de l’autre, elle s’enfonce dans les terres et s’évase en une baie, la baie de Sebra, qui, avec ses fonds de sept à neuf mètres, offre un excellent mouillage aux plus grands navires. Ce vaste bassin, que l’on dirait creusé tout exprès pour servir de port à Bizerte, sera facilement, suivant les besoins du trafic et conformément aux projets de la Compagnie du Port, bordé de quais et aménagé pour devenir un port de commerce très fréquenté.

Nous doublons la pointe de Sebra ; elle ferme au sud la belle rade naturelle qui est comme le vestibule du lac ; son feu, placé exactement dans l’axe du canal, dirige de loin l’entrée des bateaux. Nous glissons rapidement entre les berges du goulet,