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indépendamment de ses résultats avantageux. » Quelle peut bien être cette valeur ? Renan, pour nous l’expliquer, s’en prend alors à la « science anglaise, » qui, dit-il « n’a jamais compris d’une façon bien profonde la philosophie des choses. » Ce jeune homme parle là bien irrévérencieusement de Newton ! Et il continue : « La science, en effet, ne valant qu’en tant qu’elle peut remplacer la religion, que devient-elle dans un pareil système ? Un petit procédé pour se former le bon sens, une façon de se bien poser dans la vie, et d’acquérir d’utiles et curieuses connaissances. Misères que tout cela ! Je ne connais qu’un seul résultat à la science, c’est de résoudre l’énigme, c’est de dire définitivement à l’homme le mot des choses, c’est de l’expliquer à lui-même, c’est de lui donner, au nom de la seule autorité légitime, qui est la nature humaine tout entière, le symbole que les religions lui donnaient tout fait et qu’il ne peut plus accepter. » Il y revient, en un autre endroit, de peur sans doute qu’on ne l’ait pas compris, et il ajoute : « Que reste-t-il, si vous enlevez à la science son but philosophique ? De menus détails, capables de piquer la curiosité des esprits actifs et de servir de passe-temps à ceux qui n’ont rien de mieux à faire, fort indifférons pour celui qui voit dans la vie une chose sérieuse, et se préoccupe avant tout des besoins religieux et moraux de l’homme. La science ne vaut qu’autant qu’elle peut rechercher ce que la révélation prétend enseigner[1]. » Ai-je besoin de citer encore ? La science, dans la pensée de Renan, n’apparaît-elle pas comme destinée à « remplacer » la religion ? si la « religion de la science » n’est qu’une métaphore, ne la réalise-t-il pas ? et si l’Avenir de la science est une œuvre de sa jeunesse, qui ne sait que son âge mûr ne s’est on quelque manière employé qu’à essayer de réparer au moyen de la science les brèches que son exégèse croyait avoir faites dans l’édifice dix-huit fois séculaire de la morale et de la religion ?

Mais, précisément, si la science n’est qu’un système de rapports, et de rapports humainement variables, quoique théoriquement nécessaires, sa transformation en une religion est devenue impossible, et rien n’est plus vain que d’en tenter l’épreuve. Dans la conception positiviste, la science, par tous ses caractères, s’oppose à la religion, ou du moins s’en distingue, est autre chose, n’a d’efficace ni pour la combattre, ni pour la justifier. Elle en a

  1. Voyez l’Avenir de la Science, p. 22, 23, 29.